Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

situation. Je lui apprends que je suis sûr du concours de Talhouët et de celui de Chevandier de Valdrôme, et il est convenu avec lui que je vais solliciter ceux de Daru, de Buffet et de Segris. Je vois Daru le 17, Buffet le 18. Je les mets sans réticence au courant ; je leur donne connaissance du programme que j’ai soumis à l’Empereur et je leur demande leur concours. Ils me le refusent malgré ma longue insistance. Les raisons de leur refus sont résumées dans la lettre que j’écrivis aussitôt à l’Empereur (18 novembre) :

« Sire, j’ai commencé mes négociations sur la base que vous m’aviez indiquée : Le Bœuf à la Guerre, Rigault à la Marine, Forcade au Conseil d’Etat, moi à l’Intérieur, carte blanche sur le reste. J’ai vu hier Daru et aujourd’hui Buffet. Tous les deux m’ont parlé de Votre Majesté avec respect. Quoique trouvant la situation très difficile, ils sont prêts à vous aider ; mais tous les deux pensent qu’il ne s’agit plus de mesures plus ou moins bonnes à prendre, qu’il faut des actes indiquant que Votre Majesté adopte résolument, sans arrière-pensée, le régime parlementaire ; on en doute dans le pays, et c’est pourquoi des excès, qui autrefois eussent rejeté tout le monde dans les bras du gouvernement, laissent sinon indifférent, du moins calme. L’un et l’autre conseillent d’appeler quelqu’un à former un ministère, de créer un vice-président, du Conseil en cas d’empêchement de l’Empereur, comme était Odilon Barrot sous la présidence. Enfin ils estiment tous les doux qu’avec Forcade, même au Conseil d’Etat, la situation ne sera pas tenable. Hors de l’Intérieur comme à l’Intérieur, s’il reste dans le ministère, il sera obligé de s’expliquer sur les élections ; son déplacement, qui aura été un commencement de désaveu, n’aura servi qu’à amoindrir son autorité ; là-dessus le ministère se disloquera au lendemain même de sa constitution. Daru s’est expliqué à ce sujet avec une extrême vivacité : « Que l’Empereur ne se préoccupe pas autant de la majorité de la Chambre, elle obéira à un signe de sa main ; qu’il pense à la majorité du pays ; celle-là ne suivra que si elle est satisfaite, et elle ne le sera que lorsque le point d’appui du gouvernement sera porté vers le centre gauche.. » Croyez-m’en avec M. de Forcade, aucun ministère ne pourra accomplir l’œuvre principale aujourd’hui, la constitution d’une majorité. Ceux que M. de Forcade, ou plutôt ses agens, a combattus per fas et nefas ne lui pardonneront pas où qu’il soit replacé ; ceux qu’il a