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reproches violens qui l’accueillirent lui et ses collègues, Pelletan, Simon, Ferry, dans une réunion tenue à Clichy. Personne ne songea à reprendre pour son compte l’émeute que désertait la Gauche. Victor Hugo comprit qu’au point de vue théâtral, ce dénouement n’était pas scénique. Il proposa un dernier acte : « Une déclaration solennelle des représentans de la Gauche, se déliant du serment en face de la nation, voilà la vraie issue de la crise ! Issue morale et révolutionnaire. J’associe à dessein ces deux mots. Que le peuple s’abstienne, et le chassepot est paralysé ; que les représentans parlent, et le serment est aboli (12 octobre). » L’opposition ne se délia pas de son serment, ce qui eût mis fin à son mandat et l’eût amenée en police correctionnelle, et le 26 octobre se passa dans la plus parfaite tranquillité. Vers la fin de la journée, l’Empereur se montra sur les boulevards et fut acclamé.


III

De loin j’avais suivi sans inquiétude cette puérile agitation. Je n’avais pas hésité à approuver le gouvernement, et je m’attristais de l’attitude contraire prise par Girardin, dont on me rendait plus ou moins solidaire. Il se montrait indulgent aux bravades de la Gauche. J’exprimai à Girardin ma désapprobation :

« Je vous trouve plus sévère pour le gouvernement que pour l’opposition, et ce n’est pas juste. Je sens très bien de mon coin que le flot monte, mais ce n’est pas à cause de la manière dont a été exécuté le sénatus-consulte ; c’est parce que l’on veut une révolution, les uns en s’en rendant compte, les autres à leur insu. Eût-on fait tout ce que vous avez conseillé et autre chose encore, la situation ne serait pas changée. Elle ne peut plus être détendue ; elle doit aboutir à un choc. En vérité, je ne sais pas si ce gouvernement a une autre conduite à tenir que de s’entourer de ses fidèles, armer ses canons et attendre. Dans une telle situation, il n’y a rien à faire pour moi. Les conservateurs me trouvent trop téméraire, les démocrates trop conciliant ; les libéraux à la rigueur pourraient s’accommoder de moi, mais où sont-ils ? Le jacobinisme nous a infectés jusqu’à la moelle des os, et il vit et agit en nous, comme l’inspirateur