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impuissantes : bien plus ! en poussant maladroitement dans un sens, elles déterminent une réaction dans l’autre. Cette observation n’est pas moins scientifique que celle de M. Clemenceau, et l’événement vient de la confirmer. Il s’est trouvé que le milieu Orléanais, sur lequel M. Clemenceau avait totalement négligé de se renseigner, n’était pas prêt à l’évolution qu’il a voulu lui imposer. — Adoptez d’autres formes, a-t-il dit à la municipalité, d’autres traditions. — On a su bientôt ce que cela voulait dire, M. Clemenceau ayant promis de remplacer le clergé dans les fêtes orléanaises par plusieurs batteries d’artillerie, et même par de la musique militaire. Le conseil municipal n’a été nullement ébloui par des offres que M. le président du Conseil jugeait si séduisantes ; on assure même qu’il s’est demandé, dans une séance orageuse, ce que tous ces bronzes et ces cuivres coûteraient à la ville, car M. Clemenceau entendait bien que celle-ci en payât les frais. Au lieu de se calmer, les esprits se sont exaltés de plus en plus. Finalement il a fallu se tourner du côté de l’évêché et entrer en négociation avec lui : n’est-ce pas là, en effet, qu’était la difficulté ? Eh quoi 1 négocier avec un évêque ! Que devient la fameuse séparation ? Que devient la logique de M. Clemenceau ? Il est bien vrai que ce n’est pas M. Clemenceau lui-même qui a négocié avec Mgr Touchet. C’est la municipalité qui s’est chargée de ce soin. Mais M. Clemenceau, bon gré mal gré, a été tenu au courant des pourparlers. A un moment, on lui a demandé par télégraphe s’il acceptait certaine condition, et il a répondu. Combien il a dû souffrir pour entrer dans cette voie ! Se refuser si obstinément à négocier avec le Pape dans l’intérêt de la France, et se voir obligé, dans l’intérêt du commerce Orléanais, à négocier avec un évêque, c’est vexant.

Mgr Touchet n’a pas abusé de ses avantages. Impossible de mettre plus de tact et de discrétion qu’il ne l’a fait dans ses rapports avec la municipalité. Il a écrit, lui aussi, des lettres publiques, comprenant que, dans une circonstance aussi délicate, il devait s’adresser à l’opinion, s’expliquer loyalement devant elle et la mettre de son côté, ce à quoi il a réussi. Tout s’est passé en plein jour : l’Église aurait souvent intérêt à ce que les choses se passassent ainsi. Mgr Touchet a senti que l’opinion se tournerait contre lui si on apercevait dans son attitude un regret, un ressentiment de la situation perdue poussé assez loin pour lui faire désirer que la fête de Jeanne d’Arc perdit quelque chose de son éclat. Mais il n’y avait rien de tel dans sa pensée. Il a pleinement reconnu au pouvoir civil le droit de fêter Jeanne d’Arc à lui seul, si cela lui convenait. Tout le monde aurait