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S’il y avait une tradition qui méritât d’être respectée et à laquelle, à aucun prix, il ne fallait toucher, c’était celle-là. On ne pouvait pas, en effet, y toucher sans la détruire, et on ne pouvait pas la détruire sans commettre un crime de lèse-patrie.

Par malheur, M. Clemenceau n’y a rien compris. Il est pourtant patriote à sa manière : c’est une justice que nous nous plaisons à lui rendre. Mais il vit trop dans le présent, au jour le jour, pour avoir l’intelligence du passé, et l’intérêt immédiat qu’il attache à la séparation de l’Église et de l’État l’a empêché de voir ce que le temps, par la consécration qu’il donne aux choses, a mis de pensée permanente dans les fêtes orléanaises des 7 et 8 mai : — Eh quoi ! s’est-il dit, le clergé prend part à ces fêtes et y joue même un rôle très en vue : comment, dès lors, les fonctionnaires de la République pourraient-ils y assister ? Individuellement et à titre privé, soit ; mais à titre officiel, non. La séparation de l’Église et de l’Etat n’est pas un mythe. La mitre de l’évêque forme une antithèse irréductible avec le chapeau à cornes du préfet, et un commis principal des contributions directes ne saurait figurer sans illogisme dans le même cortège qu’un sous-diacre de la cathédrale. — C’est ainsi qu’a raisonné M. Clemenceau, et il a pris aussitôt sa meilleure plume pour enjoindre aux fonctionnaires de ne pas assister officiellement aux fêtes de Jeanne d’Arc, si le clergé devait y occuper lui-même une place officielle. Il tolérait bien que les prêtres lissent partie du cortège, mais comme tout le monde, et sans autres insignes que ceux qui font partie de leur costume personnel. En tout cas, le clergé ne devait passer désormais qu’après tous les corps constitués, puisqu’il n’en est plus un lui-même, ayant été l’objet d’une mesure analogue à celle que nos voisins anglais appellent disestablishment.

A notre avis, M. Clemenceau a raisonné petitement, et s’est trompé du tout au tout sur les conséquences que doit avoir la séparation de l’Église et de l’État. La séparation a mis l’Église en dehors de l’État et a libéré l’État de toute obligation à l’égard de l’Église, mais elle n’a pas fait et elle ne pouvait pas faire que l’État et l’Église, munis l’un contre l’autre du fabuleux anneau de Gygès, cessassent de se voir. L’Église continue, malgré tout, d’occuper une trop grande place dans le monde pour que l’État puisse l’ignorer. Réciproquement indépendans, il y a un peu plus que de la puérilité à vouloir que l’Église et l’État ne soient même plus perceptibles l’un pour l’autre. Inévitablement appelés à se rencontrer, pourquoi feraient-ils semblant de ne pas se connaître, et se traiteraient-ils comme des ennemis, comme des gens qui ne peuvent pas se trouver ensemble dans un même local, ou