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l’on se reporte à nos citations, on pourra constater qu’il est placé au-dessous et non en face du séraphin crucifié, qu’il ne s’absorbe pas dans la contemplation de ses blessures, qu’il n’en voit sortir aucun rayon lumineux ou sanglant qui vienne frapper son flanc, ses pieds ou ses mains, qu’il ignore même le sens précis de sa vision, et qu’il ne peut, à l’encontre de ses nombreux successeurs, se représenter une stigmatisation dont il ne connaît pas d’exemple ; aussi pour mourir avec Jésus, pour être crucifié avec lui, pour se transformer en lui par amour et par charité, a-t-il pu se mettre réellement à sa place sans être passivement gouverné par la représentation visuelle de ses plaies.

De même Angèle de la Paix, une autre stigmatisée de droite, n’a pas reçu ses stigmates en contemplant les cinq plaies du Christ. « C’était le Jeudi Saint 1634, » dit son biographe, « et la vingt-quatrième année de son âge ; enfermée dans sa cellule, elle contemplait les tourmens de la Passion de son Seigneur, et quand elle arriva à ce cruel coup de lance qui lui fut donné par un soldat qui s’acharnait contre son cadavre, elle se sentit fondre de douleur. Alors apparut dans sa bienheureuse cellule l’Enfant Jésus assis sur le trône d’ivoire que lui faisait le sein virginal de sa mère, ayant, bien que tout petit, la poitrine ouverte… Elle lui dit : — O puissé-je, mon Dieu, être frappée profondément par toi comme tu l’as été pour moi ! Alors elle vit le petit enfant prendre de sa main débile une lance enflammée et brillante et la frapper avec tant de violence sur le côté droit qu’il atteignit le cœur et le perça d’une large et profonde blessure[1]. »

La lance atteint le cœur, parce qu’une tradition veut que Jésus lui-même ait eu le cœur atteint par la lance, mais la blessure d’entrée est à droite chez Angèle de la Paix comme chez Jésus. La stigmatisée, affranchie de la représentation visuelle des cinq plaies, a pu rester fidèle comme saint François et pour les mêmes raisons à la tradition orthodoxe de l’Eglise.

Ce n’est donc pas au hasard, mais par une sorte de nécessité psychologique, que le stigmate de la lance apparaît tantôt à gauche, tantôt à droite. Même quand il se croit transporté par l’extase hors de l’espace et du temps, le mystique obéit aux lois les plus simples de l’optique, et ses stigmates varient dans leur

  1. Marchese, Diario Dominicano. Vità della serva di Dio Suor Angela della Pace, t. V, p. 526.