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forme et maîtresse du corps, usant de son pouvoir sur iceluy, imprima les douleurs des plaies dont elle était blessée es endroits correspondans à ceux esquels son amant les avait endurées ; l’amour est admirable pour aiguiser l’imagination afin qu’elle pénètre jusqu’à l’extérieur ; les brebis de Laban échauffées d’amour eurent l’imagination si forte qu’elle porta coup sur les petits agnelets desquels elles étaient preignes, pour les faire blancs ou tachetés selon les baguettes qu’elles regardèrent dans les canaux esquels on les abreuvait.

« Et les femmes grosses, ayant l’imagination affinée par l’amour, impriment ce qu’elles désirent ès corps de leurs enfans. Une imagination puissante fait blanchir un homme en une nuit, détraque sa santé et toutes ses humeurs. L’amour donc fit passer les tourmens intérieurs de ce grand Amant saint François jusques à l’extérieur, et blessa le corps d’un même dard de douleur duquel il avait blessé le cœur. Mais de faire les ouvertures en la chair par dehors, l’amour qui était dedans ne le pouvait pas bonnement faire. C’est pourquoi l’ardent Séraphin, venant au secours, darda des rayons d’une clarté si pénétrante qu’elle lit réellement les plaies extérieures du crucifix en la chair, que l’amour avait imprimées intérieurement en l’âme[1]. »

On ne saurait parler en termes plus heureux de la toute-puissance de l’imagination, et saint François de Sales n’ignore pas de quel secours est le sentiment de l’amour pour provoquer et fortifier les images devant les yeux de l’esprit.

S’il n’élimine pas tout à fait le séraphin, on doit reconnaître qu’il a beaucoup réduit son rôle, et que son analyse est aussi rationnelle qu’il pouvait la donner.

Que le séraphin ne soit plus qu’une simple image, et nous trouvons dans la citation précédente l’explication que M. Alfred Maury devait donner deux siècles plus tard, avec moins de bonheur dans les termes et de précision dans la pensée : « L’imagination fortement excitée peut agir sur nos organes, tantôt pour y développer des maladies, tantôt pour les guérir ; c’est à l’ordre des maladies créées par l’imagination qu’appartiennent les affections bizarres nées sous l’influence du mysticisme chrétien. Quand l’imagination est vivement frappée, elle contraint tout l’organisme à se plier à toutes ses créations ; on concevra donc

  1. Traité de l’Amour de Dieu, liv. VI, chap. XV.