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et la plante des pieds ou fendu le côté dans le désir d’établir leur sainteté sur quelque signe extérieur bien apparent aux yeux de tous ? Avant de chercher une explication scientifique, ne doit-on pas penser à la supercherie ?

On le doit toujours quand on a affaire à des stigmatisés qu’on ne connaît que par leurs stigmates ; à plus forte raison, quand on se croit autorisé par ailleurs à soupçonner leur moralité ; et l’on a pu voir bien souvent les événemens justifier cette méfiance préalable. C’est ainsi que M. Alfred Maury cite plusieurs exemples de mystificateurs qui, dès le moyen âge, se seraient imprimé sur les pieds et les mains les stigmates de Jésus pour exciter l’admiration de leurs contemporains, et dans des temps plus modernes, Rose Tamisier aurait fait par le même artifice de nombreuses dupes[1]. Mais, à dire vrai, si des enquêtes de ce genre s’imposent avec Rose Tamisier, elles n’ont pas grand intérêt quand il s’agit d’un saint François d’Assise ou d’une Véronique Giuliani, et l’on ne peut, sans contradiction, soupçonner d’une basse comédie un mystique dont on connaît par ailleurs la conviction profonde et la haute moralité.

On pourrait, avec plus de vraisemblance, invoquer une sorte de supercherie inconsciente et supposer que les stigmatisés, qui sont tous des extatiques et par suite des névropathes, se font, dans des états de demi-conscience ou d’inconscience complète, des blessures dont ils oublient l’origine quand ils reviennent à l’état normal et dont ils sont très sincèrement étonnés et ravis. Les faits de ce genre sont fréquens dans l’hystérie, et l’on a vu souvent, au cours de cette névrose, des sujets préparer, pendant un état de somnambulisme, des scènes compliquées dont ils étaient, après leur réveil, les premières dupes ; pourquoi les stigmatisés ne seraient-ils pas sincères comme ces hystériques et dupes comme eux ? Tous ont le même désir de souffrir avec Jésus-Christ, de participer à son supplice, et il suffit d’une diminution dans la vie consciente et personnelle pour que ce désir provoque des actes que la conscience morale désapprouverait si elle pouvait les connaître. L’explication a séduit quelques psychologues, entre autres M. Alfred Maury, qui a écrit ici même : « On peut supposer que dans ces cas d’extase qui mettent l’imagination hors d’elle-même et font perdre au moi

  1. Revue des Deux Mondes, 1854, t. IV, p. 477.