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Mirandole ; Archangèle Tardera semblait sur le point de rendre l’âme pendant la scène de sa flagellation ; et Catherine de Ricci, en sortant du ravissement où elle fut marquée, « apparut à ses consœurs si amaigrie et si livide qu’elle leur fit l’effet d’un cadavre vivant[1]. »

A souffrir ainsi, les mystiques se persuadent non seulement qu’ils se rapprochent de Jésus, mais qu’ils sont admis, par une sorte de grâce divine, à perpétuer le sacrifice de leur Dieu, à expier comme lui des fautes dont ils sont personnellement innocens. Ces douleurs cuisantes des épines, ces souffrances lancinantes des clous et de la lance ne sont pas, dans leur esprit, des douleurs perdues pour les hommes ; elles rachètent des péchés ; elles constituent des gages de salut ; elles sont pour eux la forme religieuse et métaphysique de la charité : « Ces âmes réparatrices qui recommencent les affres du Calvaire, » dit un mystique contemporain, « ces âmes qui se clouent à la place vide de Jésus sur la croix, sont donc en quelque sorte des sosies du Fils ; elles répercutent en un miroir ensanglanté sa pauvre face ; elles font plus : elles donnent à ce Dieu tout-puissant la seule chose qui cependant lui manque, la possibilité de souffrir encore pour nous ; elles assouvissent ce désir qui a survécu à son trépas, car il est infini comme l’amour qui l’engendre[2]. » Les stigmates sont, pour ces nouveaux crucifiés, la notification extérieure de leur transformation en Jésus-Christ ; ils proclament qu’Archangèle Tardera, que Véronique Giuliani, que Catherine de Ricci sont si semblables à leur Dieu qu’elles lui succèdent dans la souffrance ; ils sont le sceau visible de leur sainteté.

L’Eglise catholique ne saurait, sans manquer à sa propre philosophie du christianisme, contester aux mystiques ce caractère ennoblissant et sanctifiant de leurs douleurs, et c’est bien sur leurs souffrances imméritées et volontairement subies qu’elle fonde, comme eux, une partie de leurs mérites ; mais elle est loin d’avoir pour leurs stigmates le respect absolu auquel ils prétendent, et elle se montre en général assez méfiante, lorsqu’il s’agit de fonder une canonisation sur ces signes matériels d’élection.

Elle n’ignore pas en effet que les stigmates de la couronne,

  1. Sa vie, par Sandrini, liv. I, ch. XX, p. 69. « Ella pareva uno cadavere spirante, tanta erà la pallidezza. »
  2. J.-K. Huysmans, Sainte Lydwine, p. 101.