Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forte, » puisque le quatrain passé en proverbe : « Sot qui espère gouverner avec les mômeries d’un faire paternel » n’est pas de lui, et qu’un autre mot tout pareil : « On ne gouverne pas les États avec des patenôtres » est de Cosme de Médicis ; le sentiment que la valeur personnelle, et par surcroît la faveur du prince, établissent l’égalité entre les hommes : c’est encore Cosme de Médicis qui l’assure : « Avec quelques aunes de drap rouge, on fait de nouveaux citoyens et de bons. » Il y a tout cela dans le machiavélisme, où il y a d’ailleurs autre chose ; c’est cela le machiavélisme, et c’est d’ailleurs autre chose ; tout cela est dans Machiavel, mais tout cela n’est pas de Machiavel.

J’ai essayé de dégager d’une part ce que la science politique italienne pourra devoir au machiavélisme, et d’autre part ce que le machiavélisme doit aux réalités italiennes d’alors. Mais, voulût-on voir là une contradiction, je suis obligé maintenant de noter que bien des préceptes, en lesquels on a cru reconnaître la marque de fabrique du secrétaire florentin, n’ont rien de proprement, d’exclusivement machiavélique, rien de proprement, d’exclusivement italien. Rien de proprement machiavélique : « Nie toujours ce que tu ne veux pas qu’on sache, et affirme ce que tu veux qu’on croie ; parce qu’encore qu’il y ait beaucoup de signes et presque certitude du contraire, d’affirmer ou de nier gaillardement met souvent dans l’hésitation l’esprit de celui qui t’écoute. » Le conseil est-il de Machiavel ? Non ; il est de Guichardin. Mais rien d’exclusivement italien. Quel Machiavel a dit, — où l’a-t-on dit, et quand l’a-t-on dit ? — « Annulez avec des caresses et les autres moyens un ennemi qui se tient sous votre puissance ; mais n’exercez aucune pitié à l’égard du vaincu qui implore merci. — On vit de cette manière dans la sécurité, car un ennemi tué ne donne plus d’inquiétudes. — Portez un ennemi sur vos épaules tant que le moment favorable n’est pas arrivé ; puis, au temps révolu, brisez-le, comme on casse une cruche d’argile avec une pierre. — Il ne faut pas relâcher un ennemi quelques touchantes paroles qu’il vous dise. Soyez pour lui sans pitié ; on doit tuer sans scrupule un être malfaisant. — Détruisez un ennemi ou par des caresses ou par des largesses, soit en semant la division chez lui, soit en usant de la force : employez, pour le détruire, tous les moyens. » Ainsi parla Zarathustrâ, — ou presque : car ce sont les discours