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été dans le passé et qui est à présent sera encore dans l’avenir, mais on change et les noms et les superficies des choses, en sorte que qui n’a pas bon œil ne les reconnaît pas, ni ne sait se régler là-dessus, ou en juger par le moyen de cette observation. »

Machiavel, comme Guichardin, comme Giannotti, a « bon œil : » de cette observation, il saura, lui, tirer une règle ; mais, dès ce moment, il a une opinion, et c’est, comme Guichardin le fera proclamer par le prudent Bernardo del Nero, qu’il ne vaut pas la peine de « changer le mal d’estomac en mal de tête. » Que ce soit l’un ou l’autre mal, tantôt l’un, tantôt l’autre, cette versatilité, cette incapacité de supporter et de s’accommoder, cette « ingouvernabilité, » s’il est permis de forger le mot, est et demeure un mal de Florence ; on pourrait même dire : le mal florentin, si d’ailleurs l’Italie tout entière n’en était infectée. Le Florentin exilé de sa patrie, un Dante qui va cherchant et appelant « la paix, » ne la trouve nulle part ; nulle part il ne trouve de consolation ni de remède. Ce qu’il fuit, au contraire, le poursuit en tous lieux : la terre italienne tremble politiquement des Alpes à l’Adriatique. Milan, Gênes, Vérone, Padoue, Ferrare, Lucques, Pérouse, Sienne, Bologne, Imola, Forli, Ravenne, Naples, le Nord, le Centre et le Midi, sont également en convulsion ; et ce n’était avancer rien de trop téméraire que de montrer dans l’Italie d’alors, une « multitude d’États foisonnant, pullulant, pourrissant, se faisant, se défaisant, se refaisant, » non seulement sous une poussée interne, mais souvent sous une pression extérieure ; ce n’est pas trop présumer et préjuger que de voir en cette extrême mobilité, opposée à « l’immobilité traditionnelle et mystique » des autres États dans le même temps, la marque et le signe, le cachet de l’État italien des XIVe, XVe et XVIe siècles, par quoi il est ce qu’il est, pour son originalité et pour son malheur.

Un seul État en Italie paraît avoir échappé à ces secousses, avoir d’assez bonne heure pris son équilibre, s’être confirmé et consolidé : par une singulière anomalie à la théorie du milieu, c’est celui dont le sol est le plus mouvant, un état de sable et d’eau, l’état de la lagune, Venise. Aussi tout le monde a-t-il les yeux fixés sur lui et, avant de l’admirer pour sa grandeur, on l’admire pour sa sagesse. Vers l’an 1500, l’État vénitien est, au regard des autres États italiens, ce que sera, vers 1800, l’État