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une lettre de Diderot, datée du 29 juin et adressée à M. Grimm, qui se félicite de l’offrir à ses abonnés, et l’introduit par le galimatias que voici :


La liberté est un mot vide de sens, comme vous allez voir dans la lettre de M. Diderot. L’arbitraire produirait le chaos, et le chaos est aussi un mot vide de sens ; car rien ne peut exister sans une certaine loi constante, quelle qu’elle soit ; et cette loi ne finit pas sitôt que ce qui existait par elle périt avec elle, et disparaît de la chaîne des êtres.


Cette lettre reproche au destinataire, à qui Diderot envoie des secours, et qui en demande toujours davantage, des soupçons injurieux, un caractère hargneux, toutes sortes de mauvais procédés. «… Depuis trois ou quatre ans que je ne reçois que des injures en réponse de mon attachement pour vous, ne le suis-je pas [patient] ? Et ne faut-il pas que je me mette à tous momens à votre place pour les oublier, ou n’y voir que les effets naturels d’un tempérament aigri par les disgrâces et devenu féroce ? » Certaines expressions font supposer que ces injustes plaintes de L… ont fait grand bruit : «… N’est-il pas vrai que si tous ceux qui sont plus malheureux que vous faisaient autant de vacarme, on ne tiendrait pas dans ce monde ? ce serait un sabbat infernal. » Dans la Correspondance générale de Diderot, le destinataire de cette lettre est donné pour Landois[1], et l’on ne voit pas comment les jérémiades de cet obscur auteur auraient causé tant de tapage. Mais Mme Macdonald l’a retrouvée, transcrite dans un des cahiers du manuscrit original des Mémoires de Mme d’Épinay[2]. Et là, elle est censée adressée à « un nommé Verret, homme sans aveu, tombé du ciel, mourant de faim, » qui « fut un jour rencontré dans un café par Garnier [Diderot], » sauvé et nourri par lui, et qui, après s’être réfugié « dans une petite ville de province, » accabla son sauveur de reproches injustes et finit par s’attirer, en réponse, la lettre en question. Ce fragment, — le seul où il soit question du nommé Verret, — disparut des Mémoires. Mme Macdonald en conclut qu’en réalité, la lettre de Diderot était véritablement adressée à Rousseau, destinée à le noircir auprès des « souverains étrangers, princes, hommes d’État et leaders de la société qui patronnaient le journal secret. » Cette conclusion, sans être certaine,

  1. Éd. Tourneux, XIX, p. 432-38.
  2. II, p. 7-14 et appendices, note F.