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souvent probans. Elle soulève trois objections principales, qu’il nous faut examiner :

La première, c’est que les jeux du hasard ont tellement favorisé les calculs prêtés aux conspirateurs, qu’on a peine à admettre une si persistante complicité des événemens. Confier à un serviteur dont la destinée est incertaine, en un temps d’orage comme cette année 1793 où Mme Macdonald place l’achèvement de la copie du manuscrit « tripatouillé, » un texte recopié qu’on veut à tout prix transmettre à la postérité, et négliger en même temps de détruire l’original, c’est-à-dire la seule preuve de la falsification qui pourrait plus tard en compromettre les effets, voilà une double inconséquence qui forme un piquant contraste avec les précautions de Jean-Jacques pour assurer l’avenir à ses apologies. Mme Macdonald nous dira que Grimm, guetté par la guillotine, n’eut pas le loisir de brûler le manuscrit révélateur ; mais puisqu’il eut celui de le faire copier ?… Alléguera-t-on, d’autre part, qu’il n’avait guère le choix des moyens ? C’est justement là qu’est le miracle : pour que son calcul aboutît, il a fallu que Lecourt de Villières traversât sain et sauf la tempête, qu’il mourût au moment opportun, que le manuscrit fût vendu par ses héritiers à l’heure la plus propice au succès de ses ténébreux desseins, et qu’il fût précisément acquis par un homme que ses opinions et ses passions, assez violentes pour lui enlever le sens critique, poussèrent à en tirer parti dans le sens désiré par Grimm ! Une telle chance tient du prodige, et ferait croire que Grimm avait vendu son âme au diable. Mais tout arrive : si l’on doit signaler la singularité d’une telle série de rencontres favorables, on n’en saurait tirer aucun argument contre une théorie qu’appuient de solides présomptions, et presque des preuves.

La seconde objection est d’un autre ordre : le fait étant acquis, — grâce à Mme Macdonald, — que Mme d’Épinay a corrigé le premier texte des Mémoires dans un sens préjudiciable à Rousseau, selon les conseils de Grimm et de Diderot, la véritable question est de savoir si ces corrections ont été ou non faites de bonne foi. Qu’on me permette de m’expliquer par un exemple abstrait, en oubliant un instant de quels personnages authentiques il s’agit. Mme A… écrit des Mémoires, dans la forme d’un roman à clé. Elle y met en scène, sous des noms supposés, ses amis B…, C… et D… Quelque temps après avoir achevé sa