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que les artistes alexandrins décoraient pour les maîtres du monde. Il voyait croître et se répandre à Rome le luxe et les voluptés qu’entretenait l’argent égyptien, tandis qu’il entendait partout maudire l’avarice, la cupidité et la corruption débordante. Il possédait en somme tout ce qu’il faut à un grand écrivain pour créer une grande œuvre.

Horace en effet avait conçu le projet de créer une poésie lyrique latine, qui, par les mètres et les sujets, fût aussi variée que la poésie lyrique grecque. Il voulait devenir le Pindare et l’Anacréon, l’Alcée et le Bacchylide de l’Italie, exprimer dans tous les mètres tous les aspects de la vie qui se déroulait sous ses yeux. Et peu à peu, le chef-d’œuvre se formait dans l’esprit du poète. A mesure que les mille incidens de cette vie romaine si intense suscitaient en lui des images, des pensées, des sentimens, et rappelaient à sa mémoire des strophes ou des vers des poètes grecs ; à mesure que de ces images, de ces pensées, de ces sentimens, de ces réminiscences naissait en lui l’idée d’une courte composition lyrique, il écrivait en adoptant parmi les mètres grecs tantôt l’un et tantôt l’autre. Il composait petit à petit, l’un après l’autre, avec sa lenteur et son soin habituels, entre un voyage et un autre, entre un festin et une lecture, les quatre-vingt-huit petits poèmes des trois premiers livres des Odes. Il n’exprimait pas dans ses poèmes comme Catulle, une passion véritable et sincère ; il élaborait au contraire toutes ses odes, pensée par pensée, image par image, strophe par strophe, vers par vers, mot par mot ; il choisissait avec soin les motifs, les pensées, les images qu’il pouvait imiter dans Alcée, dans Sapho, dans Bacchylide, dans Simonide, dans Pindare, dans Anacréon ; il employait avec art et très souvent les motifs de la mythologie grecque ; il composait en somme une poésie lyrique réfléchie, en s’efforçant d’atteindre à la perfection du style et de développer, à travers la variété des motifs, un sujet unique qui est sous-entendu, mais n’en est pas moins la véritable matière du poème. On se laisse tromper par la division matérielle des Odes, quand on les lit et qu’on les admire séparément comme un recueil de poésies variées. Pour comprendre l’œuvre la plus fine et la plus achevée de la littérature latine, il est nécessaire de lire tout l’ensemble de ces poèmes, aussi bien les plus longs et les plus sérieux que les plus courts et les plus légers, en observant comment le motif d’une ode correspond à celui d’une