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Rome, il en connaissait si mal l’histoire, que. dans une de ses odes, il fait détruire Carthage par Scipion l’Africain qu’il confond avec Scipion Emilien[1]. Son âge, ses études, un certain dégoût de tout et de tous, le plaisir qu’il prenait à son travail poétique, le poussaient même à vivre le plus possible dans le recueillement, à la campagne, loin de Rome, de ses amis et de ses protecteurs. Il avait horreur de lire ses vers en public ; il ne fréquentait guère les dilettantes de la littérature, les grammairiens qui étaient les professeurs et les critiques d’alors ; il faisait des séjours de plus en plus rares chez ses illustres amis, et bien des gens commençaient à le traiter d’orgueilleux, puisqu’il ne jugeait plus digne d’entendre ses poésies que les grands personnages, Auguste et Mécène[2]. Ceux-ci, de leur côté, regrettant de l’avoir si rarement chez eux, l’accusaient presque d’ingratitude[3]. Il lui était difficile, dans ces conditions, de devenir le poète national, et de se consacrer tout entier à la tâche d’encourager par sa poésie le grand mouvement des esprits qui se tournaient vers le passé. Mais il ne pouvait non plus rester inactif. Il était alors, à trente-neuf ans, dans sa pleine maturité, admiré, suffisamment fortuné, sans crainte pour le présent ni l’avenir ; il avait beaucoup étudié et beaucoup vu ; il avait été témoin d’une grande révolution ; il se trouvait maintenant placé comme au centre du monde et au milieu des courans d’idées, de sentimens, d’intérêts qui se croisaient à Rome, à cette époque où de si grandes questions inquiétaient les esprits. Malgré le recueillement où il se tenait d’habitude, malgré son goût pour la campagne et pour la vie du penseur solitaire, il avait toutes les facilités pour observer le microcosme qui gouvernait l’empire et où se formaient tant de germes de l’avenir. Il pouvait discuter avec Auguste, avec Agrippa et Mécène des maux du temps et de leurs remèdes, et suivre la chronique mondaine de la haute société, les fêtes, les scandales, les aventures galantes, les querelles des jeunes gens et des courtisanes. Il assistait aux efforts que l’on faisait pour restaurer le culte antique des dieux, de même qu’il pouvait admirer les nouvelles maisons

  1. Carm., 4, 8, 17 : on a voulu considérer ces vers comme interpolés, mais je n’en vois pas la raison. Il n’y a aucune preuve qu’Horace connût bien l’histoire romaine. Il pouvait donc commettre cette erreur.
  2. Hor., Epist., 1, 19, 37.
  3. Voyez Suét., Horat, Vita ; et Hor. Epist., 1, 7,