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maintenant la nuit sous les coups d’hommes qui se querellent ivres devant moi, sous les mains indignes qui viennent me frapper. Tous les jours je suis ornée de couronnes infâmes, et je vois à mes pieds les torches laissées par l’amant qui n’a pas été reçu. Je ne peux plus défendre les nuits d’une femme trop célèbre, moi qu’on a, après tant de gloire, livrée au scandale par des vers obscènes. Ah ! cette grande dame ne se soucie guère de ménager mon honneur ; elle tient à être plus dissolue encore que l’époque où nous vivons[1]. » Cependant, si en Italie il y avait encore des familles fécondes, personne dans cette petite oligarchie, qui croyait présider à Rome à la reconstitution du passé, ne donnait l’exemple d’avoir beaucoup d’enfans. Auguste n’avait qu’une fille ; Agrippa n’en avait qu’une également ; Marcus Crassus, le fils du richissime triumvir, n’avait qu’un fils ; Mécène n’avait pas d’enfans, ni non plus Lucius Cornélius Balbus qui était célibataire. M. Silanus avait deux enfans, et Messala, Asinius et Statilius Taurus en avaient trois. Les familles de sept ou huit enfans, si nombreuses jadis, ne se rencontraient plus. On croyait avoir bien rempli son devoir envers la République quand on en avait un ou deux, et même bien des gens cherchaient à se soustraire au devoir ainsi réduit.

{citation|… ut careat rugarum crimine venter[2].}}

Au lieu de se marier, il était pour les hommes plus sûr et plus agréable de choisir une maîtresse parmi ces grandes dames ou parmi les affranchies, les chanteuses syriaques, les danseuses grecques et espagnoles, les blondes et belles esclaves de Germanie et de Thrace, qu’on instruisait dans l’art du plaisir pour les maîtres du monde. L’amour égoïste, la volupté stérile et le plaisir contre nature que les anciens Romains avaient chassés de leur ville avec tant d’horreur, étaient maintenant, et à l’heure même où l’on vantait si fort le passé, admis aussi bien dans les mœurs que dans la littérature. Deux poètes illustres, choyés et protégés par les grands, Tibulle qui était le favori de Messala, et Properce qui était l’ami de Mécène, créaient définitivement la poésie érotique romaine qui développait dans des formes littéraires imitées des Grecs une psychologie de l’amour

  1. Properce, 1, 16, 1 et suiv.
  2. Voyez, les deux élégies d’Ovide, dont on pourrait dire qu’elles sont d’une naïveté terrible : Amor., 2, 13 et 14.