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que le poète souhaitait mal de mort à ceux qui « recueillent les vertes émeraudes et teignent avec la pourpre de Tyr les laines blanches » parce qu’ « ils excitent les jeunes femmes à vouloir des vêtemens de soie, et les brillans coquillages de la Mer-Rouge ? »

La coutume, sans l’appui d’aucune loi, avait pu imposer au paterfamilias de jadis le mariage comme un devoir[1], parce que la coutume et la loi lui reconnaissaient aussi des droits tels que l’administration de tous les biens, et un pouvoir presque despotique sur les membres de la famille. Mais le pauvre mari de l’époque d’Auguste n’était plus que l’ombre et la parodie de l’antique, solennel et terrible paterfamilias romain. Quels pouvoirs avait-il, hormis celui de dépenser une partie de la dot, surtout quand il épousait une femme intelligente, rusée, autoritaire, riche, et qui avait pour se défendre un haut parentage, beaucoup d’amis et d’admirateurs ? Non seulement il ne pouvait plus l’obliger à avoir beaucoup d’enfans et à donner tous ses soins à leur éducation, mais il ne pouvait même plus s’opposer à ses caprices ruineux, ni la contraindre à lui rester fidèle. La femme avait acquis toutes les libertés, même celle de l’adultère, — car la loi n’avait pas osé usurper les droits du paterfamilias et ceux du tribunal domestique, en punissant l’adultère ; et personne n’osait plus convoquer le tribunal domestique qui seul aurait pu châtier la femme coupable. D’ailleurs, il n’aurait plus été possible de mettre à mort la femme qui avait failli ; et elle pouvait facilement échapper aux autres peines plus douces, infligées par la famille, comme la relégation à la campagne, en divorçant. C’est ainsi qu’à part quelques idéalistes qui subsistaient encore, on ne se mariait plus par devoir civique, mais par calcul, soit que l’on fût épris d’une femme belle, que l’on convoitât une riche dot, ou que l’on voulût s’allier à une famille puissante. Bien des gens divorçaient dès qu’ils ne trouvaient plus leur compte dans l’union contractée ; d’autres cherchaient à se consoler en changeant de femme, comme aujourd’hui on change de domestique ; d’autres encore restaient célibataires ou prenaient pour concubine une affranchie. Ces unions n’étaient pas considérées comme des mariages et par conséquent ne donnaient pas d’enfans légitimes, et c’était encore là un avantage pour le père qui pouvait

  1. Tibulle, 2, 4, 27 et suivantes.