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Si Rome s’imaginait avoir repoussé à Actium une agression de l’Égypte, elle ne savait pas, après la victoire, résister à une nouvelle invasion égyptienne, moins visible, mais plus dangereuse que celle des armées d’Antoine et de Cléopâtre. Après la chute de la dynastie des Ptolémées, les artistes, les marchands d’objets de luxe, les artisans qui avaient travaillé pour la cour d’Alexandrie, pour ses eunuques et ses hauts personnages, étaient allés chercher du travail et du pain dans la grande ville où vivait le successeur des Ptolémées et où avaient été transportés les immenses trésors de l’Égypte. Ils étaient revenus et ils venaient les uns après les autres en Italie ; ils débarquaient à Pouzzoles ; et si les plus modestes d’entre eux s’arrêtaient dans les villes de la Campanie, depuis Pompéi jusqu’à Naples, d’autres allaient à Rome où ils ne trouvaient pas des palais somptueux à bâtir pour le successeur des Ptolémées. Auguste habitait sur le Palatin la vieille maison d’Hortensius, et plusieurs maisons contiguës, construites par différens propriétaires, qu’il avait toutes achetées lui-même à différentes époques et réunies tant bien que mal, en y faisant des réparations[1].

Ces artistes trouvaient au contraire du travail auprès des personnages les plus riches de l’aristocratie sénatoriale et équestre, qui s’occupaient à reconstruire, sur les ruines de la révolution, une nouvelle Rome plus somptueuse que l’ancienne, et qui étaient disposés à leur faire bon accueil. La conquête de l’Égypte, la légende d’Antoine et de Cléopâtre, par une des contradictions si nombreuses de cette époque, avaient attiré l’attention sur les choses égyptiennes. Bon nombre des hommes le plus en vue du parti d’Auguste avaient fait la campagne d’Égypte ; ils avaient séjourné de longs mois à Alexandrie ; ils avaient vécu dans les maisons des riches seigneurs égyptiens ; ils s’étaient promenés curieusement parmi les splendeurs de l’immense palais des Ptolémées ; ils avaient rapporté d’Égypte des meubles, des vases, des tissus et des objets d’art. Beaucoup y avaient fait fortune, en se partageant les biens de la couronne et les biens d’Antoine ; il est probable que la partie la plus considérable du patrimoine d’Auguste, de sa famille[2]et de ses amis était

  1. Vell, 2, 81, 5 ; Suét., Aug., 72.
  2. Nous avons déjà dit, à la page 250 du tome IV de Grandeur et Décadence de Rome, qu’Auguste et Mécène avaient des propriétés en Égypte ; Josèphe (19, 5, 1) nous dit qu’Antonia, la mère de Drusus, avait un administrateur en Égypte, ce qui prouve qu’elle y avait de grandes propriétés. Ce devaient être une partie de la fortune accumulée par Antoine en Égypte ; Dion (51, lo) nous dit, en effet, que les filles d’Antoine et d’Octavie reçurent χρήματα ἀπὸ τῶν πατρώων.