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commencement de l’an 26, Messala, qui n’occupait que depuis six jours la præfectura urbis, se démit de ses fonctions en disant qu’il ne se sentait pas capable de les bien remplir et qu’il ne considérait pas la charge comme constitutionnelle[1].

Il est probable que la chute de Gallus l’avait effrayé en lui montrant que le peuple ne comprenait plus les fonctions du præfectus. Si le præfectus Ægypti était tombé dans une telle disgrâce, à quels dangers ne s’exposerait pas celui qui aurait à exercer la même charge à Rome ? Ainsi les peines qu’Auguste s’étaient données pour persuader Messala étaient perdues ; Rome restait sans princeps, sans præfectus, avec un seul consul. Survint bientôt, la catastrophe qui ne pouvait qu’augmenter le trouble, déjà si grand, des esprits : désespéré de se voir abandonné par tous, Gallus s’était donné la mort. Auguste renonça à chercher un nouveau præfectus urbis. Il laissa la ville à la garde de l’autre consul, Statilius Taurus, voulant espérer que tout irait bien, et au printemps il commença la guerre, prenant lui-même le commandement de l’armée[2]. On comprend sans peine pourquoi le nouveau généralissime cherchait à démontrer qu’il était capable de diriger seul une guerre, sans les conseils d’Agrippa. La contradiction qu’il y avait entre son incapacité militaire et sa charge décommandant en chef de toutes les légions, n’était ni la plus légère, ni la moins dangereuse des contradictions au milieu desquelles il se trouvait pris. Son danger était même accru par la nécessité évidente de rétablir la discipline surtout dans l’armée. Auguste avait déjà aboli les abus les plus invétérés ; il ne s’adressait plus aux légionnaires en les appelant « compagnons, » mais « soldats ; » il avait exclu rigoureusement des légions les affranchis, pour renouveler la dignité de l’armée qui devait être le privilège des hommes libres ; il avait rétabli le système sévère des peines et des récompenses d’autrefois[3]. Mais,

  1. Les deux explications nous sont données, l’une par Tacite, Annales, 6, 11 (quasi nescius exercendi) ; l’autre par saint Jérôme, chronique, ad a. Abr., 1991 = 728/20 (incivilem potestatem esse contestans). Il me semble que Messala pouvait alléguer les deux raisons. Quand je prétends que la catastrophe de Gallus put décider Messala à se retirer, ce n’est évidemment qu’une hypothèse : elle me paraît vraisemblable parce que l’on peut expliquer ainsi la détermination soudaine que prit Messala de se retirer. Ce qui arrivait à Gallus devait donner à réfléchir à Messala, car l’autorité de l’un aussi bien que de l’autre dérivait de la même conception politique : le l’établissement des anciennes præfecturæ.
  2. Dion, 53, 25 ; Suét., Aug., 30.
  3. Suét., Aug., 24-25. Je crois que les faits rapportés dans ce passage appartiennent aux premiers temps du gouvernement d’Auguste. Nous verrons en effet que dans les derniers temps la discipline dans les armées s’était de nouveau tout à fait perdue.