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elle lui montre son jardin, et aussi sa fameuse Laïla, la jument née toute sellée, celle qui devait porter le Messie, et Loulou, une autre jument arabe, qu’elle devait sans doute monter elle-même, quand elle entrerait à Jérusalem, derrière le Messie.

En fin de compte, elle finit par se moquer de lui avec ses autres visiteurs, de même qu’elle se moquait de lord Byron, « un don Quichotte bizarre et mélancolique qui n’était qu’un homme du monde semblable aux autres, faisant des vers, chose facile. » D’après elle, Lamartine est un habile versificateur, nullement un poète, car « il n’a aucune pensée sublime. » A l’entendre, il étalait cette affectation sémillante qui caractérise les dandies anglais de second ou de troisième ordre ; il embrassait à chaque instant son petit chien, si bien que les muletiers, les domestiques l’ont cru fou. Milady raillant les prétentions de Lamartine, n’avait jamais médité l’apologue de la poutre et du fétu de paille ; d’ailleurs elle aurait volontiers érigé en dogmes ses ridicules. Un voyageur affirme qu’une tempête de neige ayant empêché le poète de se rendre à Baalbeck, il avait emprunté le fond de sa description à d’autres récits, comme Chateaubriand aurait fait auparavant pour ses paysages américains[1]. J’imagine que Milady dut en faire des gorges chaudes avec Kinglake, Puckler-Muskau et tutti quanti ; en tout cas, elle ne se gênait nullement pour déclarer qu’en ce qui la concernait, une moitié des pages était inventée et l’autre inexacte. Tant il est vrai qu’on ne loue jamais assez, qu’on ne sonne jamais les gens comme ils veulent être sonnés. Au fond, Milady se préoccupait de cette opinion européenne qu’elle feignait de mépriser, puisque, un an environ avant sa mort, le 6 août 1838, se sentant malade, elle fit partir le docteur Meryon, son unique ami, chargé de publier des lettres qui, dans sa pensée, devaient ressusciter son prestige.

Sur la tombe de cette femme étrange, j’aurais voulu qu’on gravât les vers de ce Lamartine qui lui avait rendu justice, et même un peu plus que justice :


Hâtons-nous ! Replions, après ce léger somme,
La tente d’une nuit semblable aux jours de l’homme,
Et, sur cet océan qui recouvre les pas,
Recommençons la route où l’on n’arrive pas !
Eh ! ne vaut-elle pas celles où l’on arrive ?

  1. Je ne sache pas que Lamartine ait prétendu être allé à Palmyre.