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dire de lui : « C’est le plus bel âne que j’aie jamais vu. » Elle le dirait en face, fût-ce à un roi. Voilà sa manière de s’excuser lorsqu’elle avait froissé le docteur Meryon par ses propos hautains.

Que dites-vous encore de ce croquis de Bonaparte et de Joséphine ? « En contemplant le portrait de Joséphine, je devinai qu’elle était artificieuse à l’excès. Il y a dans ses traits deux ou trois lignes qui m’ont semblé sataniques. Quant à sa beauté, elle a pu en avoir. Bonaparte avait dans la physionomie quelque chose de vulgaire. Ses idées lui venaient un peu d’Ossian, un peu de César, un peu de tel livre, un peu de tel autre : il en avait fait un ensemble capable de lui donner quelque apparence de grand homme ; mais il n’était pas grand de sa nature. Je ne trouve rien à lui reprocher dans la mort du duc d’Enghien ; il eût pu faire tuer tous les autres Bourbons pour le bien de la France. Mais il n’avait guère de sentiment : il ne s’est jamais lamenté que sur son propre sort. Je ne comprends pas qu’un grand homme puisse se plaindre de son champagne, ou de sa chambre. Je crois pouvoir dire qu’il en avait habité de pires. A sa place, vous auriez vu que je me serais comportée tout autrement ; et jamais un homme de l’espèce de sir Hudson Lowe n’aurait pu s’apercevoir qu’il m’eût offensé. Il n’avait pas de génie, mais c’était réellement un homme de grand talent. L’homme de génie est comme un beau diamant, uni et égal sur toutes les faces, si bien que, de quelque côté qu’on le regarde, il s’en échappe un éclat de lumière. »

Un beau diamant, soit, — mais uni et égal sur toutes les faces, quoi de plus douteux ? Les plus grands hommes n’ont-ils pas eu leurs défaillances : et contester le génie de Napoléon à cause de son attitude à Sainte-Hélène, n’est-ce pas raisonner à la faconde ceux qui ment Pascal, Molière, Victor Hugo, Wagner, parce qu’ils ont partagé quelques-unes des faiblesses ou des erreurs de l’humanité moyenne ?

Milady eut avec Lamartine, en 1832, une conversation que tous deux ont racontée, l’une dans ses Mémoires, l’autre dans le Voyage en Orient, et qui met en relief d’une manière fort piquante le contraste de ces natures. Le poète idéalise le paysage, l’habitation, son interlocutrice, il embellit les idées de celle-ci, couvre ses billevesées d’un voile de pourpre poétique ; il arrive chez elle, il en repart le cœur plein de douceur, de gratitude même, et peut-être l’a-t-il mieux comprise que les autres parce