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paiera un loyer annuel de 1 000 piastres (un millier de francs), tous les bâtimens qu’elle construira appartiendront au Syrien quand elle cessera d’habiter Djoun. Ce commentaire léonin de la fable de La Fontaine rappelle un proverbe souvent mis en pratique par les peuples et certains particuliers : « Ce qui est à moi est à moi ; ce qui est à toi est à moi. » Est-il besoin d’ajouter que Milady transforma, modifia sans cesse la maison de Djoun, et qu’il ne resta finalement pas plus de l’ancienne que de certain couteau légendaire ?

« Cette habitation, observe M. Philippe Descoux, était bien la plus extraordinaire chose du monde : enclose dans un mur d’une dizaine de pieds d’élévation, et qui formait une sorte de parallélogramme de cent quatre-vingts pas dans un sens sur une centaine dans l’autre, elle ressembla bientôt du dehors à une forteresse, et intérieurement à une cité en miniature. Grâce à la disposition des divers quartiers de sa demeure, disait Milady, des individus, des familles pourraient vivre pendant des mois, des années même dans le voisinage les uns des autres, sans en avoir le moindre soupçon, tandis que nul ne pourrait sortir, aller, venir, sans être aperçu d’elle ou de ses serviteurs. Le principal corps de ces bizarres constructions servait au logement de la Malikal : il se composait de sa chambre à coucher, d’une ou de deux pièces à usage de salon et de divan, et donnait sur un vaste jardin à la turque. En ce jardin, tout était l’œuvre de Milady elle-même, et les années, en faisant grandir arbres et arbrisseaux, en faisant fleurir les parterres et les rideaux de plantes grimpantes des charmilles et des kiosques, les roses, les jasmins et les pervenches, donnèrent un charme enchanteur à cet îlot de végétation perdu dans un désert de roches. Une eau, claire comme le cristal, que l’on avait montée à dos de mulet dans les réservoirs du Dahr, jaillissait dans des bassins de marbre. Le long des allées, des arbres fruitiers d’Europe entremêlaient leurs branches avec les espèces de l’Asie ; des treilles vigoureuses formaient des voûtes où l’automne venait dorer des raisins délicieux ; des pelouses s’étendaient comme un vert tapis, et çà et là, des arbustes, des plantes fleuries s’élançaient de vases faits en argile du pays, tous d’un dessin différent, et dont Milady, avec un goût et un talent auquel le prince Pucklor-Muskau se plaît à rendre hommage, avait donné le modèle. De divers points se découvrait, avec une habileté admirable de mise en scène, le paysage environnant, d’un pittoresque