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les sens les lieux les plus inaccessibles de notre planète, et s’apprêtent à conquérir le royaume de l’air ; où, non moins que le chemin de fer, le télégraphe, le téléphone, les récits de Chateaubriand, de Lamartine, de MM. Gabriel Charmes, Melchior de Vogüé, Loti, Bellessort, Chevrillon, Edouard Blanc, semblent avoir mis l’Orient à notre porte. Mais, au commencement du XIXe siècle, Palmyre, Baalbeck, paraissaient presque des lieux de rêve, hantés de toutes sortes de légendes et de réalités fort ardues, comme ces montagnes enchantées dans les contes des Mille et une Nuits : pachas cupides, populations fanatiques, Arabes pillards et soldats qui, ne valant guère mieux, combattaient aussi volontiers contre l’ordre que pour l’ordre. Il fallait négocier, menacer au besoin, obtenir le passage par l’argent et la diplomatie ; et tout cela se compliquait d’une autre difficulté, le sexe d’Hester, assez peu respecté en Orient. Qu’à cela ne tienne : Hester en changera, mais dans un autre sens que cette Ninon de Lenclos qui un beau jour imagina de se faire homme sous prétexte que les hommes s’arrogeaient tous les privilèges et toutes les libertés, exemple suivi par Elisabeth, Catherine II et autres grandes dames. Notre héroïne se contenta d’adopter le costume masculin, de fumer le chibouk, et de déployer des qualités toutes viriles. Elle montait à cheval comme un centaure, et pour la hardiesse, la générosité, l’endurance, la force d’âme, elle aurait pu rivaliser avec un Bonvalot. Ses compatriotes l’appelaient plaisamment : Hester reine des Juifs ; les Turcs, les Arabes, que fascinaient ses grandes allures et son courage, la surnommèrent : la Sytt Milady, la Malikah, et après le voyage à Palmyre : la Reine de Tadmor ou la Reine du désert. Elle finit par prendre au sérieux ces hyperboles, et de bonne heure se considéra comme l’oracle de ces peuples, se proclama l’enfant gâtée de l’armée turque : à l’entendre, les derviches lui avaient donné un morceau du tombeau de Mahomet. Et en réalité le Divan lui témoignait une grande considération, lui accordait des firmans en vertu desquels elle reçut les mêmes honneurs qu’une princesse ; d’ailleurs, son odyssée orientale l’avait rendue célèbre dans tout l’Islam, et le prestige en fut durable. Elle lui avait coûté 30 000 piastres environ : l’imagination des Bédouins centupla sans doute ce chiffre, et leur rapacité y trouvait son compte, puisqu’il leur permettait de pressurer davantage ceux qui vinrent après elle. Sous les pas de la Malikah, disaient-ils, le désert aride se métamorphosait en