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ces interventions s’étaient produites : aucune n’avait eu de résultat. Ç’avait été d’abord la rencontre à Copenhague et à Berlin de l’Empereur et du baron de Courcel, envoyé en mission spéciale pour les obsèques du roi de Danemark (18-21 février) ; mais pas plus à Berlin qu’à Copenhague, l’Empereur n’avait parlé politique à l’éminent ambassadeur. Et, quant au prince de Bülow, les propositions qu’il lui avait faites n’étaient qu’un refus opposé aux nôtres. Le 20 février, à notre demande, le comte Witte adressait à l’empereur d’Allemagne une communication directe. A son retour d’Amérique, M. Witte avait été reçu par Guillaume II à Rominten avec des honneurs quasi royaux, et parmi beaucoup de complimens, son hôte impérial lui avait fait quelques promesses. Tout le monde, à ce moment, prévoyait qu’en rentrant dans son pays, l’heureux négociateur de Portsmouth serait appelé à prendre en mains la direction des affaires. L’Empereur lui avait parlé de cette hypothèse ; il avait ajouté : « Si je puis alors en quelque façon vous être utile, écrivez-moi. Je ne négligerai rien pour vous aider. » Et il avait conclu en lui indiquant par quel intermédiaire il devrait faire passer ses lettres.

Le comte Witte, encore sous le charme de cet accueil et confiant dans l’appui promis, ne doutait guère du succès de sa démarche. Sa lettre commençait par un plaidoyer très ferme, bien que très mesuré pour notre cause. Il montrait d’abord qu’au Maroc les intérêts allemands étaient sensiblement inférieurs aux intérêts français et, que, par conséquent, les concessions devaient être plus faciles à l’Allemagne qu’à la France. Il parlait aussi de nos droits. Mais, comme de juste, c’est surtout l’argument russe qu’il invoquait. Combien délicate était entre la France alliée et l’Allemagne amie la situation de l’Empire russe ! Combien difficile celle même du Tsar ! Combien enfin cette situation était encore aggravée par la crise intérieure que traversait la Russie ! M. Witte, tant au nom de son pays qu’en son nom personnel, s’adressait donc à la bonne volonté de Guillaume II et lui demandait de donner à la France, inquiète de ses intentions, un gage de son esprit de conciliation, en admettant, avec les garanties convenables, les solutions proposées par elle.

Pour résister à cet appel, il fallait, semblait-il, des raisons bien fortes. Or, M. de Bülow avait dit et redit que le Maroc n’était pour l’Allemagne qu’une « occasion. » Si cela était vrai, comment douter que la voix du comte Witte ne dût être entendue ?