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jambes brisées. » Là-dessus, elle pirouette, tourne le dos à Aberncorn, qui l’aimait fort avant ce trait, et qui devint son ennemi déclaré.

C’est la vengeance à coups de massue, non à coups d’éventail. Que n’imitait-elle notre duc de Nivernais qui, au lieu de se venger d’une chanson satirique du comte de Tressan, votait pour lui à l’Académie française, et comme celui-ci accourait, se confondant en remerciemens : « Vous voyez, monsieur, dit Nivernais, qu’en vieillissant je perds la mémoire. » Ou bien encore la riposte de cette grande dame à une amie qui l’accusait de médisance, peut-être de calomnie : « Eh bien, sommes-nous quittes ? » Excentrique pour excentrique, comme elle nous apparaît plus aimable, cette Georgina Spencer, duchesse de Devonshire, qui à la fin du XVIIIe siècle. exerce la dictature de la grâce en Angleterre ! Tous les sortilèges de la beauté, du rang, de la richesse et de l’esprit, — des caprices qui faisaient loi, une fougue d’âme qui se précipitait toujours sur la voie de l’idéal et des causes généreuses, le don poétique en anglais, en français, en italien, et ce privilège si rare de séduire en plusieurs langues, — des réceptions royales qui faisaient dire : « Quand elle donne un bal, tout Londres s’enivre ; » un salon qui attirait les hommes les plus distingués : Fox, Burke, Wyndham, lord Tohnshend, Sheridan, etc. ; une passion pour les jeux de hasard qui aurait pu rivaliser avec celle de Mme de Montespan. Quand la guerre d’Amérique éclate, elle parcourt les camps revêtue de l’uniforme de la milice de Derby, et avec ses amies façonne des gilets de flanelle pour les troupes. Et quelle ardeur pour faire triompher la candidature de Fox, en 1784 ! Alors le vote, le poll se prolongeait pendant des semaines. Londres sous l’impulsion de la duchesse de Fox comme on l’appelait, eut la fièvre quarante-sept jours de suite, hommes et femmes portant cocardes, faveurs à la couleur du candidat, de grandes dames s’arrachant mutuellement leurs insignes et criant : « Vive Fox ! » ou : « A bas Fox ! » la duchesse allant aux hustings en grand équipage, quêtant des voix dans les boutiques, emmenant même des électeurs dans sa voiture.

Que n’aurait-elle octroyé à William Pitt, le jour où celui-ci répondit à un Français qu’étonnait l’influence de Fox sur la nation anglaise, un libertin ruiné par le jeu et les paris : « Vous n’avez pas été touché par la baguette du magicien ! » Un contemporain