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heure, la profession de foi réaliste qu’il a cru devoir écrire en tête de son Episcopo et Cie. Et aussi bien, le voyage que le romancier s’est imposé à cette minute au travers de l’école réaliste devait lui être utile au cours de tous ses romans. Depuis lors, en effet, un point de départ de « réalité » est devenu pour lui un des élémens essentiels de l’œuvre d’art : c’est le fil conducteur par lequel l’artiste veut être guidé au milieu des détours que lui impose le labyrinthe de sa fantaisie. D’ailleurs, pas même dans Episcopo, le « poète » n’a réussi à se dissimuler tout à fait sous la livrée de prose. M. d’Annunzio ne sera jamais un miroir impassible de la vie. Il porte en soi un instinct lyrique de transfiguration qui, en toute occasion, fait apparaître par la magie de son verbe la réalité laide plus affreuse, la douleur atroce plus déchirante, la cruauté plus cruelle, toutes les beautés plus resplendissantes.

Cette faculté éveille chez M. d’Annunzio un descripteur insigne. En tête d’un recueil qui vient d’être publié en Italie sous ce titre : Proses choisies, quelqu’un, — et ce quelqu’un n’est-ce pas M. d’Annunzio lui-même ? — a écrit ces lignes :


... Nous pouvons considérer ce volume complémentaire comme une revue des caractères dominans de l’œuvre d’une vingtaine d’années. Et si, en publiant ces pages, choisies dans l’œuvre non terminée d’un auteur vivant et militant, nous dérogeons à l’usage qui veut que ces ouvrages soient posthumes, cette nouveauté est justifiée par l’importance de l’écrivain, et par le fait que d’Annunzio a laissé un long intervalle entre son dernier roman en prose et celui qui paraîtra... Ainsi les lecteurs du styliste seront heureux de retrouver ici les pages préférées par eux, en même temps que celles qui, comme l’épisode de la fontaine muette dans les Vierges aux Rochers, sont aujourd’hui fameuses, autant que les plus inoubliables mélodies. Les âmes chastes qui s’abstiennent de s’approcher des créatures de ces romans, par crainte de la matière dangereuse dont elles sont façonnées, trouveront ici recueillies les fleurs les plus salubres et les plus pures. Les jeunes gens studieux pourront considérer, tout à leur aise, la diversité des instrumens et des moyens par lequel le Maître a élaboré tant d’images...


Après cet air de flûte, on feuillette le volume nouveau avec curiosité, et l’on s’aperçoit que ces pages sont toutes descriptives. Pour une fois, voici un auteur qui, au moment de juger son œuvre d’ensemble, est d’accord avec les critiques : ils avaient été unanimes à consacrer, en cet écrivain, un remarquable descripteur. Le merveilleux styliste qu’est M. d’Annunzio n’estime point que ce soit là un compliment médiocre.