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I

La lecture des romans de M. Gabriele d’Annunzio et la connaissance que l’on a par lui-même des épisodes de sa vie, le montrent doué de deux puissances qui voisinent rarement avec une telle intensité : c’est, d’abord, cette disposition féminine de l’esprit qu’est l’aptitude à recevoir des sensations ; c’est, ensuite, une puissance à se renouveler perpétuellement qui est un signe supérieur de virilité intellectuelle. La première fois que, encore écolier, M. d’Annunzio lit les poèmes de Carducci, il devient un autre homme : « Pendant des jours, » écrit-il, « je dévorai ces pages avec une excitation étrange et fébrile... » Après de telles lectures, l’adolescent se sent « une âme renouvelée. »

D’ailleurs, ce goût spirituel des choses de l’art est déjà lié chez lui à une ardeur toute physique, qui lui donne les apparences d’un jeune faune. Les lecteurs du Feu se souviennent certainement de cette page où Stelio Effrena, égaré avec Perdita dans le « labyrinthe, » se glisse dans le buisson :


... Sous ses genoux, il sentait les feuilles mortes, la mousse molle, et comme il respirait parmi les branches, il palpitait au milieu d’elles et avait tous les sens excités par ce plaisir. La communion de sa vie avec la vie végétale se lit plus étroite... Il se transfigurait, selon les instincts de son sang, en une forme ambiguë, moitié animale et moitié divine, en génie agreste, dont la gorge était gonflée des mêmes glandes qui pendent au cou des chèvres... Alors il désira une créature qui lui ressemblerait, une proie à capturer, une violence à accomplir... Donatella, aux reins arqués, lui apparut.


Tel est le vertige de l’écrivain.

De même, dans l’Enfant de volupté, Sperelli, placé en face de la duchesse Elena Muti, remarque que sa voix insinuante « donne presque la sensation d’une caresse charnelle. » Certains de ses regards exhalent un « charme trop aphrodisiaque. » Par instans, sous les yeux de tous, « cette femme a un mouvement, une expression qui, dans l’alcôve, ferait frissonner un amant. »

En lyrique qu’il est, l’écrivain ne peut imaginer que les autres hommes ne partagent pas sa façon de sentir, — cette secrète morsure, qui, à la vue de certaines femmes, lui, le tenaille :

Quiconque la regardait, écrit-il, pouvait lui dérober une étincelle de