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commis par les armées françaises dans le Palatinat ou en Hollande. Par là il était en avance sur son temps, et de ces antipathies nationales que le souvenir des torts du passé entretiennent dans le cœur des peuples comme de ces traités dont les conditions trop dures ne sont point acceptées au fond de l’âme par les vaincus, la France a fait une trop récente et trop amère expérience pour qu’on ne doive pas rendre hommage aux sentimens que l’élévation de son esprit et la bonté de son cœur inspiraient à un aussi jeune prince, sentimens étrangers à un Louis XIV, à un Napoléon, et à d’autres encore, dont il serait permis de citer le nom.


VII

Nous croyons en avoir assez dit pour montrer que, si le Duc Bourgogne fût arrivé au trône, il n’aurait pas été, comme quelques auteurs se sont plu à l’imaginer, un prince dévot, uniquement occupé à faire son salut et à réprimer l’hérésie. Il aurait été au contraire un prince réformateur qui aurait apporté dans les méthodes d’administration et de gouvernement des modifications profondes. Sans doute on peut regretter que sur certains points il partageât les idées de son temps, et qu’en particulier il considérât, suivant son expression, comme l’un des sept sacremens de la politique, « le devoir d’étouffer dès sa naissance toute espèce de nouveauté en matière de religion « et de punir suivant toute la rigueur des lois les premiers coupables, pour éviter d’avoir à en punir par la suite une infinité d’autres. On peut prévoir qu’il aurait engagé sur ce point, avec l’esprit général du XVIIIe siècle, une lutte dont il ne serait pas sorti vainqueur. On peut regretter aussi que, des réformes qu’il projetait, quelques-unes ne fussent pas assez hardies et que d’autres pussent paraître un peu chimériques, comme le projet qu’il aurait formé, et encore cela n’est-il pas bien certain, d’investir la noblesse de fonctions politiques. On peut douter que la noblesse française, qui trouvait en Saint-Simon lui-même un juge sévère, se fût montrée propre à ce rôle. De tout temps, elle avait largement payé sa dette à la patrie par le grand nombre des « tués à l’ennemi » dont peuvent s’enorgueillir toutes les familles dont elle se compose depuis les plus jusqu’aux moins illustres. Mais elle n’avait jamais compris qu’elle aurait dû faire de ses privilèges une des