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souffrances qu’il avait vues de ses yeux, avaient abattu chez lui cette ardeur. « La guerre, disait-il, est un des plus funestes fléaux qui puissent affliger une nation ; la plus heureuse est toujours funeste, et chaque bataille gagnée est une plaie pour l’État[1]. » Aussi n’y a-t-il de guerre juste, que celle qui est nécessaire ; mais s’il est du devoir d’un prince de défendre ses États et de protéger ses sujets, le prince agresseur, et qui rend une guerre nécessaire, se charge d’un terrible compte devant le Père commun des hommes. Aussi n’est-ce point un déshonneur, mais une véritable gloire pour un prince, de désavouer et même de réparer les injustices et les torts qui peuvent avoir été faits par ses sujets, en son nom ou autrement. Le Duc de Bourgogne va même jusqu’à dire qu’il est glorieux de ne point poursuivre, par les armes, la réparation de torts qui ne portent pas un préjudice notable à la nation, car « on doit examiner les raisons qui peuvent donner le droit de faire couler le sang des peuples. »

Ceux qui trouveraient le Duc de Bourgogne un peu trop pacifiste seront au moins d’accord avec lui, sur la manière dont la guerre doit être conduite. Rien n’est plus grand à ses yeux que d’offrir la paix à l’ennemi, au milieu des succès, dans des conditions qu’il puisse accepter. « Lors même que l’on a été heureux dans une guerre juste, il faut encore porter la justice et la modération dans les conditions que l’on impose à l’ennemi. Si elles sont trop humiliantes ou trop dures, le traité de paix ne subsistera que jusqu’à ce qu’il ait la force de recommencer la guerre. » Le sens élevé de la justice qui animait le Duc de Bourgogne lui faisait affirmer des principes que le droit des gens d’alors osait à peine émettre, et qui étaient singulièrement méconnus dans la pratique. « Il n’est pas permis, disait-il, de faire en pays ennemi tout le mal qu’on pourroit y faire. Faire la guerre à des paysans désarmés qui offrent de donner tout ce qu’ils ont, brûler leurs moissons, arracher leurs vignes, couper leurs arbres, incendier leurs cabanes, c’est une lâcheté et un brigandage qui laissent dans les cœurs un sentiment profond de haine que les pères transmettent à leurs enfans, et qui éternise les antipathies nationales[2]. » Quand il écrivait ces lignes, le Duc de Bourgogne pensait assurément avec regret aux excès

  1. Proyart. t. II, p. 422.
  2. Id., t. 1, p. 128.