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premier de tous, devait, d’après Saint-Simon, être composé du Roi et de cinq ministres, « dont aucun ne sera de robe ni de plume, et n’en aura jamais été, et qui seuls porteront le nom de ministres d’Etat, les autres ministres n’entrant que quand ils y seront appelés et n’y ayant point voix délibérative[1]. » Mais rien ne prouve que le Duc de Bourgogne ait entendu donner à ces Conseils une composition aussi exclusivement aristocratique.

Sans doute il aimait fort la noblesse. Saint-Simon n’exagère rien lorsqu’il dit que le Duc de Bourgogne « étoit touché jusqu’au plus profond du cœur de la ruine de la noblesse, des voies prises et toujours continuées pour l’y réduire, de l’abâtardissement que la misère et le mélange du sang par les continuelles mésalliances nécessaires pour avoir du pain avoient établi dans leur courage. » Comme Saint-Simon, « il étoit indigné de voir cette noblesse française, si célèbre, devenue un peuple presque de la même sorte que le peuple même, et seulement distinguée de lui en ce que le peuple a la liberté de tout travail, de tout négoce, des armes mêmes, au lieu que la noblesse est devenue un autre peuple qui n’a d’autre choix qu’une mortelle et ruineuse oisiveté, qui, par son inutilité à tout, la rend à charge et méprisée, ou d’aller à la guerre se faire tuer[2]. » Boulainvilliers, de son côté, était bien informé en lui prêtant « une distinction tendre et compatissante pour la noblesse[3]. » Le Duc de Bourgogne avait en effet pitié de la condition pénible à laquelle un grand nombre de gentilshommes étaient réduits, et il avait raison. C’est une des erreurs les plus communément entretenues sur l’ancien régime de croire qu’une noblesse opulente se superposait à un peuple misérable. La vérité, c’est que, si certaines familles nobles jouissaient d’une grande fortune, — et encore leurs affaires étaient-elles souvent embarrassées, — un très grand nombre, surtout parmi celles qui appartenaient à la noblesse de province, connaissait la gêne, quelques-unes même la misère. Lorsque Mme de Maintenon parlait sans cesse de la pauvre noblesse, elle en savait quelque chose, elle qui, laissée à la charge d’une tante avare, avait gardé les dindons dans son enfance, et dans les instructions qu’elle donnait de vive voix aux demoiselles

  1. Projets de Gouvernement, p. 61.
  2. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 109.
  3. État de la France, préface p. 1.