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abondaient. Suivant l’expression très juste que Sainte-Beuve, dans les articles consacrées par lui au Duc de Bourgogne de Michelet, emprunte à Boisguillebert, cil n’y avait plus d’huile à la lampe, » et chacun cherchait le moyen d’en renouveler la provision, les uns en secret comme Saint-Simon et Fénelon, les autres dans des écrits rendus publics comme Vauban dans son Projet d’une dîme royale et Boisguillebert dans son Détail sur l’état de la France, d’autres enfin dans des ouvrages qui ne devaient voir le jour que plus tard comme l’abbé de Saint-Pierre et Boulainvilliers. Cette préoccupation datait de loin chez le duc de Bourgogne. Il est difficile de croire que ce fut seulement pour compléter son instruction qu’à l’âge de dix-sept ans il avait demandé, nous le rappelons, à chaque intendant de lui fournir un mémoire détaillé sur l’état de sa province, et pour peu que les rapports des intendans aient été fidèles, la lecture des quarante-deux volumes in-folio qui composaient la collection de leurs mémoires dut le convaincre que beaucoup de choses étaient à changer dans le royaume.

Il se rendait compte cependant qu’interroger des fonctionnaires sur ce qui se passe dans leurs services n’est pas une manière très sûre d’arriver à la vérité, et il accueillait, il provoquait même d’autres témoignages. C’est ainsi qu’il ne rejetait sans examen aucun des mémoires que des particuliers lui adressaient du fond des provinces. « Quand il n’y auroit, disait-il, qu’une seule observation judicieuse dans un volume entier de spéculations chimériques, on ne doit pas regretter le temps qu’on a passé à le lire[1]. » Grand était le nombre de ceux qui ainsi s’adressaient à lui. Un jour même, rapporte la marquise d’Huxelles[2], il trouvait sur son bureau, déposé par une main inconnue, un mémoire qui contenait des conseils mélangés de vives critiques sur l’administration intérieure du royaume. Ainsi, depuis qu’il était devenu l’héritier présomptif et immédiat du trône, tous les yeux se tournaient vers lui. Fatiguée par la longue domination d’un vieux roi dont la gloire s’était obscurcie, la France aspirait à voir luire, sous un jeune prince, l’aube d’un jour nouveau.

Quel avait été cependant le résultat d’une si longue préparation ?

  1. Proyart, t. II, p. 360.
  2. Bibliothèque du musée Calvet à Avignon. Papiers inédits de la marquise d’Huxelles.