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Chevreuse à Dampierre, se préparaient donc à leur rôle de futurs conseillers du jeune prince. Il ne leur restait plus qu’à se réunir. C’est ce qu’ils firent.

La réunion eut lieu à Chaulnes. Chaulnes était une terre située en Picardie qui avait été autrefois érigée en duché pour le frère du connétable de Luynes, et qui était devenue la propriété du duc de Chevreuse. Chevreuse faisait à Chaulnes d’assez fréquens séjours, et, bien que Fénelon ne pût sans permission expresse sortir de son diocèse de Cambrai, cependant il avait pris peu à peu l’habitude de se rendre à Chaulnes pendant le séjour annuel qu’y faisait Chevreuse, tout en ayant soin d’entourer ses voyages d’une sorte de mystère. Il se plaisait dans cette retraite, entre des amis qui étaient chers à son cœur : Chevreuse lui-même, la bonne duchesse sa femme, son fils le vidame d’Amiens et aussi la jeune vidame sur la conduite spirituelle de laquelle Fénelon donnait, au vidame son époux, de judicieux conseils. « O que la vie de Chaulnes est trop douce ! écrivait-il au duc de Chevreuse ! Elle gâte tout autre état. Je veux être hermite dans le bout du parc. Cet hermitage sera trop joli et l’hermite ne sera guère en solitude quand vous serez tous au château[1]. » Au moment où nous sommes, Fénelon hésitait cependant à s’y rendre, car, à ce moment, Chevreuse poursuivait une nouvelle érection de cette terre en duché au profit du vidame, et Fénelon craignait que sa présence à Chaulnes revenant aux oreilles du Roi ne compromît son hôte[2]. Chevreuse, de son côté, n’était pas sans inquiétude sur les conséquences du voyage projeté, non pas à son point de vue personnel, mais au contraire à celui de Fénelon. « Ne le saura-t-on pas, lui écrivait-il, en septembre également, et pouvez-vous éviter qu’il ne devienne public ? C’est vous (que vous ne regardez point), que nous devons néanmoins regarder en cela, non seulement à cause de vous, mais pour ne point mettre de nouveaux obstacles à l’ordre inconnu de Dieu. »

L’ordre inconnu de Dieu. Ces mots trahissent les espérances à la fois mystiques et politiques auxquelles, depuis la mort de Monseigneur, se livrait le petit troupeau, et il aurait fallu tout à la fois être plus détaché des grandeurs de ce monde et moins animé de patriotiques desseins que Fénelon et Chevreuse, pour ne

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII. p. 366.
  2. Id., ibid., p. 336.