Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/807

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donnait, entre 1712 et 1715, au Mémoire préparé par lui, car ce Mémoire ne contient pas seulement des idées générales, mais tranche, jusque dans le plus minime détail, une foule de questions particulières. Nous pouvons donc donner maintenant comme éclaircie la question que nous posions en commençant. Ces projets de gouvernement ne sont pas ceux du Duc de Bourgogne ; ce sont ceux de Saint-Simon. Ce dernier avait d’ailleurs tort de croire que, sauf avec lui, et encore avec Beauvilliers et Chevreuse, le Duc de Bourgogne n’eût de relations qu’à la passade. Matériellement, c’était peut-être vrai ; mais, moralement, il était une influence, autrement puissante que celle de Saint-Simon, qui cherchait à s’exercer sur lui de loin, et avec un mystère, qu’avant de pousser plus avant, il nous faut essayer de percer.


III

« J’apprends qu’à Paris on a parlé et on parle encore de vous, Monseigneur ; cette voix répandue m’a donné un véritable plaisir. Ce seroit un coup merveilleux de la Providence que, pendant les troubles où est la religion en France, vous eussiez, outre la plume, la main aussi libre et puissante à les dissiper. On entendra ici toujours une pareille nouvelle avec la plus grande joie parce qu’on croit inséparables vos bons succès de ceux de l’Église[1]. » C’est en ces termes qu’au mois de juin 1711, c’est-à-dire deux mois à peine après la mort de Monseigneur, l’abbé Alamani écrivait à Fénelon, de Rome où il se trouvait alors. Ainsi le bruit avait couru et était arrivé jusqu’à Rome que Fénelon allait non seulement rentrer d’exil, mais même être investi de quelque autorité. D’autres lettres également adressées à Fénelon montrent qu’on l’avait cru un moment à Paris. Quelque effort qu’il fit pour commander à ses sentimens, il était impossible que ces bruits ne troublassent pas la paix de ce « grand diocèse » auquel Fénelon comparait lui-même son âme. Mais ces sentimens n’étaient pas non plus ceux d’une ambition vulgaire. Nous avons vu avec quel intérêt passionné il suivait, du fond de son exil, les affaires publiques, comme il était ému des malheurs de la France, quelle influence, par l’intermédiaire de ses amis Chevreuse et Beauvilliers, il s’efforçait d’exercer dans les Conseils du

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Edition de Saint-Sulpice, t. VIII, p. 6.