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d’ailleurs animaux signifiant la force de la mort inévitable ; chez les peuples voisins de la forêt, il prend l’aspect d’une ruche, surtout quand plusieurs sarcophages se groupent en village de bombardes sous l’ombrage opaque des takamakas où il semble que les abeilles doivent composer un miel amer et sombre ; chez les tribus riveraines de la mer, il étend sur le sable où il dort l’apparence d’une barque sans rames, sous les filaos dont le murmure est comme le souvenir, prolongé en harmonie sourde d’éternité, des ronflemens de l’Océan.

Ainsi le mort rentre à la fois dans la nature et, si l’on peut dire, dans les origines de sa race, couché pour le dernier sommeil dans son premier habitat. On en est profondément touché lorsqu’on se promène avec une âme sympathique entre ces cercueils déposés à même le sol, d’autant plus émouvans qu’ils sont rudimentaires de ligne parmi les touffes échevelées de la végétation tropicale. Sur la côte, ce n’est plus tant le tombeau individuel qui manifeste la valeur artistique, que le cimetière, le champ collectif, et de là la différence de l’art qui s’y caractérise. En visitant les cimetières betsimisares, ordonnés en villages de cercueils alignés à ras du sable, on sent le terre-à-terre étreignant de la mort. On ne subit plus la majesté architecturale et sculpturale des mausolées des Hauts-Plateaux, mais une intense poésie d’humilité devant ces cases-cercueils en forme de pirogues comme échouées devant l’immensité de la mer, de cette mer des Indes qui déferla ici les immigrations successives sans jamais vouloir les remporter. Tous sont rangés sur le littoral loin des hameaux, en des lieux d’une austérité prenante. Ils sont tous beaux par leur simplicité et le sentiment musical de la mort, si intense chez ces insulaires, qui s’y communique. Mais il n’en est peut-être point qui laisse une impression aussi symphonique que celui qu’on rencontre avant Matinandro en venant du Sud : après avoir traversé la forêt obsédante, au coucher du soleil, nous arrivâmes soudain sur le bord de l’Océan en présence d’un grand cimetière indigène aplati sous les arbres, et nous fûmes aussitôt envahis d’une monotonie impalpable et souveraine.

La mer ardoisée sous une nue violâtre, les lames pleines de sable et d’argent, la plage ambrée dans une harmonie avec l’occident jauni, sur la d’une les lianes qui répètent immobilement en vert le dessin blanc et mouvant de la lame écumeuse, et, de l’autre, côté, la lagune mauve reflétant avec une pureté inflexible