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susceptibles du moindre spiritualisme. À notre sens, les fêtes mortuaires sont l’occasion de répéter toutes les poésies qui, au cours des siècles, vinrent de toutes parts aux oreilles des gens du village et qu’on a conservées ensemble : elles constituent exactement des répétitions d’anthologie où fatalement revient, sans aucune philosophie, l’idée universelle que la mort est inéluctable et « qu’elle met chacun dans la gueule du crocodile. »

Dans l’horreur de ne pas être enterré en son village, parmi les siens, il n’y a pas une idée religieuse, car les rites funéraires pourraient être accomplis partout avec scrupule, mais une idée sociale que la routine a consacrée jusqu’à la pousser à la superstition, qui autrefois a dû être très forte surtout chez les chefs, car c’était pour eux une déconsidération de voir leurs enfans périr au loin sans que le corps pût être l’objet public de la piété populaire et de la cérémonie annuelle du Retournement.

Tous les ans en effet, l’on ouvre les tombeaux et l’on retourne les morts. Les parens accourent en habits de parade, avec des virtuoses ambulans et diseurs de bonne aventure. Les chanteurs et les danseurs de profession concourent, se démènent. On boit, on massacre des bœufs ; les invités déposent des cadeaux, on leur distribue les viandes. Les lumignons graisseux s’allument dans la nuit fumante. Le lendemain, on ensevelit à nouveau les restes, après les avoir promenés sept fois autour des sépulcres dans la joie hurlante des enfans qui trépignent les danses de l’adieu et des regrets. C’est une sorte de Toussaint que tout le village célèbre en chœur et où il y a fort peu de commémoration spirituelle, mais seulement une fête rituelle. On perçoit, dans ces cérémonies où la foule se réunit et compare les lambas mortuaires et les mausolées, l’importance de l’art des tombeaux.


Les peuples qui, soit parce qu’ils sont guerriers, soit parce qu’ils sont nomades, n’ont pas développé l’industrie de la maison, se bornent à fixer dans leur mémoire de vagabonds par un accident de terrain, par l’érection d’une stèle, ou par des entassemens de cailloux, la place où ils ont enfoui leurs morts. Ainsi font les peuplades du Sud de Madagascar qui emplissent un enclos de grosses pierres et y fichent d’innombrables paires de cornes, si bien que cette masse inégale de roches bosselées et heurtées les unes contre les autres figure de loin d’une façon grandiose un farouche troupeau pressé dans un parc. Ces tombeaux