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ont mis en avant l’idée d’une internationalisation[1]. Il s’agirait d’ôter au chemin de fer son caractère d’entreprise exclusivement allemande, et de permettre ainsi au Drang germanique de continuer sa marche sans absorber tout sur son passage.

N’aperçoit-on pas dans cette formule les élémens d’une transaction ? L’Allemagne renonce aux visées du pangermanisme sur la ligne de Bagdad internationalisée, l’Angleterre à son hostilité systématique, la Russie à son opposition acharnée. La France, fixant enfin, après tant d’hésitations, les principes de sa politique extérieure, facilite l’entente anglo-russe trop longue à se déclarer. Le concessionnaire lui-même trouve son avantage dans la combinaison. Il obtient d’emblée des concours financiers qu’il aurait peut-être sollicités en vain. Bien plus, qu’une volte-face politique à Constantinople, qu’un changement de règne déplace demain le courant des faveurs, et voilà la ligne allemande gravement compromise. Internationale, elle peut compter sur la protection collective des puissances. Quant au Turc, au lieu de tout devoir à son unique ami, trop fort et chaque jour plus envahissant, il aura la collaboration de quatre ou cinq États d’Europe. L’expérience prouve qu’il saura trouver dans cette situation une garantie nouvelle pour l’ « intégrité » de l’Empire, en même temps qu’un moyen de faire prévaloir sur tous les autres ses propres intérêts.

Ainsi s’agitent sans répit autour d’un projet de chemin de fer, avec les mille intrigues de concurrens partout rivaux, les compétitions traditionnelles des puissances à l’hégémonie orientale. Ce n’est pas seulement le trafic qu’elles se disputent. C’est l’influence, les débouchés, les positions stratégiques, les moyens en un mot d’acquérir la prépondérance sur des régions nouvelles. Après Constantinople et Salonique, Bagdad devient, par le miracle des locomotives, un des centres de gravitation de la politique européenne, plus intéressée aujourd’hui que jamais aux affaires d’Orient.


PAUL IMBERT.

  1. C’est aussi la solution préconisée par M. A. Chéradame dans l’Énergie française.