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dans l’Orient musulman, sur ce vaste échiquier qui comprend la Turquie d’Asie, l’Arabie, l’Egypte et la Perse. Tandis que la Russie, l’Angleterre et même la France ont dès longtemps pris position, un nouveau concurrent, l’Allemagne, se présente et, dernier venu, affirme la prétention de supplanter tous ses rivaux.

Depuis plusieurs années déjà, le Drang nach Osten, — la poussée allemande vers l’Est, — ne s’arrête plus à Salonique, ni même à Constantinople. Au Congrès de Berlin, le prince de Bismarck avait chargé l’Autriche d’infiltrer le germanisme à travers les Balkans. L’Allemagne de Guillaume II va plus loin. Sûre de sa force, puissamment outillée pour la production, elle a pris un essor qui rend chaque jour plus impérieux son besoin d’expansion. Il faut à son industrie des matières premières à bon compte, des débouchés à son commerce, un exutoire au trop-plein de sa population. Protectrice et amie du Sultan, toujours disposée à lui offrir l’appui de sa diplomatie, elle ne demande en paiement que des fournitures et des commandes. L’Empereur ne croit pas déroger en préparant lui-même des marchés. Il est allé à Constantinople pour affermir son crédit auprès d’Abdul-Hamid : il a gagné la clientèle d’un peuple sans activité économique et sans industrie. Toutes les concessions vont aux Allemands, qu’il s’agisse du port de commerce de Haïdar-Pacha, du chemin de fer de Bagdad, qui mobilisera près d’un milliard, ou, tout récemment, du grand pont de Karakeüy qui réunit Stamboul à Galata, sur la Corne d’Or.

Sous la puissante égide du Kaiser voyageur, le Drang a franchi le Bosphore, pénétré l’Asie Mineure, atteint le Taurus. Aujourd’hui il s’apprête à descendre dans les vallées du Tigre et de l’Euphrate, vers ce golfe Persique où les navires de la « Hamburg-Amerika Linie » viennent, depuis quelques mois, montrer les couleurs allemandes. Semées le long de la ligne de Bagdad, des colonies d’exploitation et de peuplement fourniront au pays entre les fleuves la main-d’œuvre qui lui manque ; la ténacité allemande réalisera le programme des économistes : arracher la Mésopotamie au désert pour lui rendre la prospérité fabuleuse des temps du Khalifat.

Or, sur ces confins de l’Asie Mineure et de l’Asie Moyenne, nous ne sommes plus en territoire exclusivement turc. Les populations rurales, kurdes et arabes, en partie nomades, supportent