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de navigation l’emportera toujours sur une voie mixte qui exige un transport coûteux par chemin de fer, avec deux transbordemens, sans autre avantage qu’un gain de temps dérisoire. Une artère aussi étendue que le railway de Bagdad ne peut vivre que du trafic local. C’est le sol des pays traversés qui doit lui fournir son aliment. Or, dans presque toute sa longueur, la ligne parcourt des régions jadis prospères, mais aujourd’hui ruinées, de sorte que son avenir dépend au premier chef de la mise en va- leur de contrées déchues. Dans quelle mesure, en combien d’années, au prix de quels sacrifices, cette œuvre de régénération pourra-t-elle aboutir ? Sur ce point capital, les avis sont très partagés. Une récente enquête sur place nous a fourni quelques élémens d’appréciation.

Les Turcs nourrissent de grandes espérances. Le 25 octobre 1904, en inaugurant le tronçon Konia-Erégli, le représentant du Sultan, Turkhan Pacha, célébrait l’entreprise en termes enthousiastes : « Cette ligne traversera de vastes vilayets dont le sol est des plus fertiles, réunira deux mers et étendra, comme un arbre robuste, ses ramifications dans toutes les directions. Les régions situées sur son parcours verront leur commerce et leur prospérité ainsi que le bonheur et le bien-être des populations s’accroître et se développer. De nouveaux centres de civilisation et de richesse surgiront et de tous côtés on verra se créer des localités prospères. »

L’opinion répandue en Allemagne n’est pas moins optimiste. L’Assyrie et la Chaldée, sièges, il y a cinq et six mille ans, des civilisations les plus brillantes, retrouveront, au contact du progrès moderne, leur splendeur d’autrefois. Là ont fourmillé les hommes, les sociétés, les idées. De rares oasis l’attestent, le sol n’a rien perdu des qualités naturelles qui firent dans l’antiquité la fortune de ses habitans. Des colons européens, actifs et bien outillés, obtiendront en Mésopotamie les récoltes d’une Terre promise : le blé en abondance, le coton, les fruits ; ils trouveront sur place la houille et le pétrole : séduisante perspective, bien faite pour frapper l’imagination populaire.

Ces espérances, il faut le reconnaître, ne sont pas dépourvues de tout fondement. Elles reposent sur les premiers symptômes de rénovation économique observés dans la zone de pénétration des lignes existantes. Dans tous les vilayets traversés par des voies ferrées, le produit de la dîme augmente : preuve certaine,