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« L’attachement que j’ai pour vous, monsieur le comte, est bien indépendant des circonstances ; cependant, il y a de certains momens où certains hommes sont plus nécessaires. Je ne puis me consoler de cet arrêt qui me condamne à ne plus vous voir. Tout est dit, je n’ai plus qu’à m’envelopper dans de la flanelle et à me faire dorloter par mes enfans, jusqu’à ce que l’aiguille de mon cadran s’arrête. Ma position est unique, c’est un assemblage d’élémens qui se combattent sans miséricorde et me déchirent. Ce qui me console, c’est que je fais ce que je puis et ce que je dois. Sans mes enfans, je m’en irais dans le désert. C’est pour eux que je nage dans le courant des affaires à l’âge où je serais en droit de les quitter. Je ne sais si j’ai quelque grâce à supporter les dignités sans fortune. Qui peut se juger soi-même ? Quelquefois, je ressemble-à ce drôle de corps qui voudrait se mettre à la fenêtre pour se voir passer. Cependant, je n’ai point de dettes ; l’opinion me soutient assez fortement depuis quelque temps ; mon fils marche droit et se trouve fort avancé dans les idées de ce pays (colonel de l’État général). Je ne pense qu’à lui comme vous pensez, car pour moi tout va bien et je suis parfaitement sûr de vivre jusqu’à ma mort.

« Mais, puisque ma plume, en écrivant à un excellent ami, s’est avisée, je ne sais comment, de descendre jusqu’aux détails domestiques, je voudrais vous faire une question veramente da sfacciato. Si je me trouvais, dans quelque temps, obligé de faire un effort pour me procurer, comme je crois que je vous le disais une fois, un jardin et une maison au milieu, l’offre, que vous ne fîtes un jour avec tant de grâce et d’amitié, subsisterait-elle toujours ? Bien entendu que vous auriez toutes vos sûretés et que je ne demanderais à votre amitié que des remboursemens divisés.

« J’éprouverais une grande douceur à me jeter dans vos bras et à vous devoir en partie l’arrangement d’une affaire qui m’intéresse. Voyez comment je réponds à vos offres ! Vous êtes le seul homme dans le monde fait pour ce trait d’amitié et vous êtes le seul homme dans le monde dont je puisse l’accepter. J’ai un peu honte cependant. Si les circonstances avaient changé pour vous, faites-moi le plaisir d’oublier cette page et de la regarder comme non avenue.

« Bonjour, monsieur le comte : je vous quitte tristement, plein comme vous de funestes pensées et ne sachant pas trop où