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dans ce pays : c’est une de celles, en très petit nombre, où je respire librement. Il a fait ce qu’il » pu pour m’entraîner à Rome ; je l’aurais grandement désiré ; mais il faut faire ce sacrifice à l’économie, et aux convenances aussi, car quelle attitude aurais-je dans une grande ville après avoir représenté pendant quinze ans auprès de l’une des premières cours de l’Europe ? Souvent j’ai pris la liberté de le dire en riant au Roi, qui me reçoit toujours avec beaucoup de bonté. Sire, mes amis ne savent plus comment m’écrire, et moi, je n’ose plus signer. Il faut rendre justice à sa bonté ; il y a quatorze mois qu’il me dit que j’ai raison. Voilà mon histoire, monsieur le comte. J’aurais bien d’autres choses à dire sur votre pays ; mais je craindrais, malgré la sûreté de l’occasion, de manquer de respect à votre caractère, si je m’avisais de toucher à certains points. Voici un moment bien solennel[1]. Quel homme, s’il n’a pas tout à fait perdu l’esprit, oserait dire : Il arrivera ceci ou cela ! Je fais des vœux bien ardens pour tous vos vœux.

« Dites-moi une fois, si vous le voulez : J’ai reçu la vôtre du 25 août ? Ayez un peu compassion de moi, si cela ne vous gêne pas, et croyez que personne au monde ne vous est plus dévoué que moi.

‘ Après avoir fermé cette lettre, monsieur le comte, j’ai appris aussi sûrement qu’on peut être sûr de ce qui n’est pas fait que j’étais destiné à la première présidence de Savoie[2]. »


Une amitié véritable et sincère est toujours ingénieuse dans ses manifestations. Celle que le comte de Blacas avait vouée à Joseph de Maistre s’était émue des pénibles aveux auxquels se livrait celui-ci quand il parlait de sa situation matérielle. Ils lui suggérèrent la pensée d’offrir spontanément un service qu’on ne lui demandait pas et il le fit, le 26 septembre, avec autant de bonne grâce que de simplicité :

  1. En France, on était à la veille des élections pour le renouvellement de la Chambre. Les partis s’y préparaient avec ardeur, celui de l’ultra-royalisme poursuivant le même but que celui de la Révolution : le renversement du ministère Richelieu auquel ils ne tenaient aucun compte de la mémorable victoire qu’il venait de remporter au congrès d’Aix-la-Chapelle, où il avait fait décider par les puissances l’évacuation du territoire français que leurs armées occupaient depuis 1815.
  2. Cette nomination ne se fit pas et peu après le comte de Maistre était appelé à la direction de la grande chancellerie du royaume de Piémont, avec le titre de ministre d’État. Il conserva ces fonctions jusqu’à sa mort.