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Dieu vous bénisse l’un et l’autre. Il m’en coûte de ne plus vous voir. Je n’ai rien rencontré, sur le chemin de ma pénible vie, de plus agréable pour moi que votre amitié. Qu’il m’eût été doux, après vous avoir quitté sur la Néva, ne’tempi piu processori, de vous retrouver sur le Tibre ne’ tempi ! . . . Qu’est-ce que j’allais dire ? Les tempêtes sont-elles donc finies ? Je n’en crois rien ; elles font moins de bruit que les précédentes, mais le fusil à vent tue aussi bien que l’autre. Je suis à vous pour la vie, monsieur le comte, mais, croyez-le bien, d’une façon toute particulière. »


Deux jours après le départ de cette lettre, une occasion s’offrant à Joseph de Maistre d’en expédier une nouvelle à Blacas, sans avoir à craindre qu’elle ne fût ouverte avant de parvenir à sa destination, il lui écrivait plus librement, et lui avouait sa tristesse, sa lassitude morale, les appréhensions que lui causait l’avenir qui s’ouvrait devant lui.


« 2 août 1818. — M. le marquis d’Azeglio, grand de cour de deuxième classe, qui s’en va rejoindre sa femme à Rome, me fournit l’occasion, monsieur le comte, de vous dire quelques mots que je ne voudrais pas confier à la poste. Ma position est un terrible problème. Faut-il demeurer en deçà ou au-delà des Alpes ? Qu’arrivera-t-il sous peu de temps ? Jamais on ne m’ôterait de la tête que la Savoie vous tombera. L’Autriche spécule sur nous, n’en doutez pas. La princesse de Carignan nous donnait des espérances. Après les déclarations officielles et le plus joli ventre possible, tout à coup : Pstt ! j’ai été désappointé plus que je ne puis vous le dire. Tant qu’il y aura dans le monde une goutte de sang de Savoie je lui demeurerai attaché ; mais, s’il fallait être Autrichien ou Français, je ne balancerais pas longtemps.

Il y a une autre question : si nous étions cédés, c’est-à-dire nous ultramontains, alors, il ne s’agirait plus de fidélité ; il faudrait prendre son parti. Je vois telle secousse, tel changement possible où il ne serait pas du tout indifférent pour moi d’être ici où là. Si vous étiez ici, vous verriez bien d’autres choses encore. Tout bien examiné, je n’ai voulu faire aucune demande. On fera ce qu’on voudra. Si l’on me destine à la Savoie[1], je

  1. Il était question de le nommer premier président à Chambéry.