Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/647

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est incroyable. Mais qu’est-ce donc que le mal d’yeux dont vous me parlez et dont je ne me doutais nullement ? Il me semble que, pendant cinq ou six ans, jamais je ne les ai vus vous refuser service et je suis bien fâché qu’ils vous inquiètent aujourd’hui. Les miens sont précisément tels que vous les avez connus : détestables et infatigables. Je suis d’ailleurs blanc comme un cygne et radoteur en proportion.

« Si j’allais où vous êtes, je me ferais annoncer sous le nom de ci-devant jeune homme et je compterais un peu sur l’aimable compassion de Mme la comtesse de Blacas, que je crois toujours connaître tant il me paraît impossible que je ne connaisse pas la moitié de M. le comte de Blacas ? Je la prie d’agréer mes hommages respectueux. Si j’habitais Rome, j’espère bien que, de temps à autre, elle me mènerait voir les curiosités ; alors, tout le monde dirait : La voilà qui mène l’aveugle, et chacun lui donnerait un baïoque.

« Je me dispense, puisque vous le voulez, de toute cérémonie et j’y trouve une douceur particulière, ce qui n’a pas besoin d’explication pour votre cœur. Je proteste cependant, mon très cher comte, que je sais très bien ce que vous êtes. Tout à vous pour la vie. »


Au reçu de cette lettre, Blacas s’empressait de s’informer sûrement des projets de l’envoyé de Sardaigne à Rome, le comte de Barbaroux. « Je me suis assuré, dit-il, qu’il serait très aise d’échanger la place qu’il remplit pour une autre qui lui donnerait dans son pays une existence convenable. » Il avait fait aussi auprès du roi Charles-Emmanuel une démarche pour son ami. « Il m’en a fait, dit-il encore, l’éloge le plus juste, le plus mérité. J’ai vu qu’il le connaissait à merveille et, quoiqu’il ne m’ait pas promis d’une manière positive d’écrire dans le sens que nous voudrions, je crois que ce qu’il mandera sera l’équivalent. Mais il m’a paru d’ailleurs tellement déterminé à ne se mêler de rien qu’il faut agréer ses bons offices sans paraître le savoir et en garder le silence, même vis-à-vis de lui. » En envoyant ces détails à de Maistre, le 8 août, Blacas s’excusait d’avoir tardé à les lui faire tenir. Mais il avait eu la douleur de perdre son beau-père ; sa femme, enceinte à cette époque, était pénétrée de douleur ; lui-même souffrait de mille petites incommodités. Ses yeux souvent malades ne lui permettaient pas toujours d’écrire : « Il n’a rien moins fallu que