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qui dirigeait la Légation de Sardaigne auprès du Saint-Siège, souhaitait d’être rappelé et céderait son poste avec satisfaction. D’autre part, il convenait que « le souverain le plus puissant de l’Italie et qui comptait huit cardinaux au nombre de ses sujets » fût représenté à Rome par un homme éminent, capable par son esprit, sa réputation, son usage du monde, d’exercer une grande influence. Le comte de Maistre réunissait ces conditions, et la société romaine serait heureuse de le posséder. Lui-même pourrait mener à Rome « une vie très douce ; » le corps diplomatique était bien composé, très uni : « Vous êtes fait pour cette place et elle est faite pour vous. »

Si pressantes que fussent ces sollicitations, de Maistre ne s’y rendit pas, pour des motifs que nous le laissons énumérer lui-même, en faisant remarquer que ses réflexions le conduisent à parler à Blacas, ce qu’il n’avait pas encore fait, de l’accueil que, lors de son passage à Paris, il a reçu aux Tuileries.


« Turin, 26 novembre 1817. — Vous dites d’or, monsieur le comte ; vous parlez comme un oracle et mon cœur serait tout à fait de votre avis. Je suis flatté, d’ailleurs, autant que je dois l’être de l’approbation que vous m’accordez ; mais, hélas ! il faut renoncer à ce beau projet et cela par trois raisons, comme dirait l’intendant Pincé : les voici bien chiffrées, monsieur le comte.

« 1° Il faudrait me séparer de mon fils sans aucun terme visible, ce qui serait pour moi une espèce de damnation éternelle. 2° Les légations dans ce moment d’embarras ne sont pas payées. J’en sais quelque chose. J’ai achevé de me ruiner en Russie où j’ai dévoré toutes mes économies et de plus vingt-cinq à trente mille francs à ma femme, sans espoir de remboursement, du moins complet ou à peu près. Que ferais-je à Rome avec trente-six mille et tous les frais extraordinaires, à ma charge, même ceux de secrétaire ? À cette époque de détresse, il faut, laisser les places diplomatiques aux célibataires, ou du moins aux hommes assez riches pour pouvoir et vouloir y consumer une grande partie de leurs revenus. 3° Enfin, ce n’est pas moi qui donne ces places, c’est le Roi, ce qui me paraît tout à fait juste : or, je puis vous assurer que je n’ai pas vu de sa part le moindre signe favorable à votre bonne et amicale idée.

« N’ayant d’ailleurs nulle difficulté à vous ouvrir mon cœur,