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cher comte, que, si je ne consultais que mon inclination, rien ne me conviendrait comme d’aller finir ma carrière et mes jours dans la Ville éternelle. Si je savais que vous dussiez y demeurer, je sacrifierais tout au plaisir de vivre auprès de vous, car tous mes amis m’ont précédé, et nulle part je ne trouverais un homme auprès de qui il me fût plus agréable de vivre. Mais cette belle idée n’est qu’une illusion. Vous serez nécessairement ramené à Paris par une attraction inévitable et invincible. Ce que j’accepte avec transport, c’est la promesse que nous nous reverrons. J’en jure par saint Louis et par saint Maurice. Dès que je serai à Turin, je m’entendrai avec vous pour aviser aux moyens d’opérer ce rapprochement. Comme il me sera doux de vous revoir, et combien j’aurai de choses à vous dire ! Je vois dans ma tête mille idées flottantes qui s’arrangeraient tout de suite si je pouvais vous adresser trois ou quatre questions.

« Je vous ai adressé ma confession de foi sur la Charte : je persiste de tout mon cœur, et si j’avais l’honneur d’expliquer mes pensées à l’auguste auteur même, il les trouverait si véritablement françaises qu’il aurait sûrement la bonté de me les pardonner. Au reste, je le répète à vous, excellente Excellence, il n’y a dans le moment d’autre système pratique en France que celui de soutenir le Roi. Lorsque je me rappelle tout ce que nous avons lu, dit et écrit ensemble, toutes mes idées se brouillent et je ne sais plus où j’en suis. Souvent, en raisonnant avec moi-même sur ce grand sujet, je me suis rappelé l’excellente leçon pratique que vous me donnâtes un jour, et sur laquelle ma théorie vous avait précédé : Que, lorsqu’il s’agit de juger les souverains, il faudrait savoir tout ce qu’ils ne peuvent dire.

« Je ne sais comment j’ai pu arriver jusqu’à cet endroit de ma lettre avant de vous avoir appris ce que vous savez déjà : c’est-à-dire que votre auguste maître m’a fait la finesse d’envoyer la croix de Saint-Louis à mon fils. M. l’ambassadeur a bien voulu me l’apporter en personne avec une lettre du ministre des guerres au jeune homme. Je ne puis vous dire combien j’ai été sensible à cette décoration. Je la mets d’un côté, l’épée d’or pour la valeur de (l’autre ; le ; reste est au milieu. Le Roi[1] a bien voulu, de son côté, conserver à mon fils le grade dont il jouit ici : il part lieutenant-colonel dans l’état général. Il est donc

  1. Le roi de Sardaigne.