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poisson de votre espèce. Tant que la devise latine des monnaies n’est pas rétablie, tant que la potence n’a pas repris sa place, au préjudice de la guillotine et tant que cet honnête homme (Fouché) que vous ne pouviez supporter à vos côtés ne sera ni jugé, ni honni, ni chassé, vous êtes toujours en révolution. » A cet énoncé de ses vieux principes succède, en ce qui le concerne, le plus triste aveu : « Vous savez que pendant que j’étais votre voisin, je ne cessais de mourir de faim. Ce petit malheur s’est très peu adouci. J’ai été comme tant d’autres pipé par les événemens et je ne sais en vérité ce qui arrivera de moi ; l’âge avance et je ne vois devant moi qu’un assez sombre avenir. »

De Maistre n’exagérait rien en parlant ainsi. La source de ses revenus s’était tarie par suite de la confiscation de ses biens et de l’épuisement du très maigre capital qui avait échappé à sa ruine et sur lequel l’insuffisance de son traitement diplomatique l’avait contraint à vivre. De plus, il était las de rester éloigné de son pays ; il ne se jugeait plus nécessaire en Russie, au service de son souverain et il souhaitait vivement d’être rappelé. Il ne le fut qu’à la fin de 1816. En annonçant à Blacas qu’il quitterait Saint-Pétersbourg au mois de mai suivant, il lui apprenait que le roi de Sardaigne l’avait nommé premier président de ses cours suprêmes, « place éminente » qui, d’ailleurs, lui souriait peu, « ses idées ayant pris un cours étranger à l’administration pratique de la justice. »

Lorsque le comte de Blacas apprit, au commencement de 1817, la nouvelle du rappel du comte de Maistre, il avait quitté Naples. Il était à Rome en qualité d’ambassadeur du roi de France. Louis XVIII l’avait chargé de suivre auprès du Saint- Siège les négociations en vue d’un nouveau Concordat destiné à remplacer celui de 1801, qu’il considérait encore comme une œuvre bonne à détruire. Les négociations avaient marché avec rapidité et en répondant à son ami, Blacas, rendant nouvelle pour nouvelle, pouvait lui annoncer le rétablissement du Concordat de François Ier[1] et, par conséquent, la fin prochaine de son ambassade, laquelle n’avait à ses yeux qu’un caractère provisoire,

  1. On sait que le Concordat de 1817 ne put avoir de suites. Les Chambres l’avaient accueilli avec si peu de faveur, que le gouvernement le retira avant que les débats s’ouvrissent. Le maintien de celui de 1801 fut la conséquence de ce retrait.