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avis à prendre de vous, combien votre esprit m’eût été utile, combien de services m’aurait rendus votre expérience et j’oserai ajouter votre amitié pour moi ! Il me tarde de pouvoir causer avec vous par écrit, puisque je ne puis le faire de vive voix. Aujourd’hui, je n’ai que le temps de vous embrasser d’aussi bon cœur que je vous aime et que je vous suis attaché pour la vie. »


Pendant cette période et jusqu’à la fin de 1815, Joseph de Maistre ne semble pas avoir écrit souvent à son ami. Il n’existe de lui pour cette époque que deux lettres à Blacas[1] en date, l’une du 22 mai 1814, l’autre du 13 février 1815. La première est un long développement des idées qui lui sont chères sur le rôle que le fils aîné de l’Église rétabli sur son trône doit tenir envers elle et des raisons qui doivent le porter à se défier « de cet esprit parlementaire qui n’est point mort en France et qui le conseillera mal. » Dans la seconde, il se plaint de la censure dont un récent opuscule de lui paraît être l’objet à Paris, dans l’entourage du Roi où on l’a considéré comme une arme fournie aux ennemis de la Charte. Il se défend contre les griefs qu’on lui impute ; il proteste surtout contre la publication d’une édition nouvelle des Considérations, faite sans son aveu, avec sa signature qu’on y a mise sans sa permission et en tête de laquelle on a placé les critiques et les réserves que lui avait adressées, au nom du Roi, le comte d’Avaray en 1797.

Sauf ces deux lettres, silence complet de sa part comme de la part de Blacas, ce qui, d’ailleurs, se peut expliquer, en ce qui concerne celui-ci, par la gravité des événemens auxquels il avait été mêlé à Paris et à Gand, en cette année 1815 : sa disgrâce au second retour des Bourbons, arrachée à la volonté du Roi et son envoi à Naples comme ambassadeur extraordinaire à l’effet d’y négocier le mariage du Duc de Berry avec une princesse des Deux-Siciles. C’est de Naples seulement que, le 14 décembre, il se rappelle au souvenir de son ami. Son langage respire la même effusion qu’autrefois ; et comme s’il avait ignoré le mécontentement que les derniers ouvrages de Joseph de Maistre ont causé aux Tuileries, mécontentement dont l’illustre écrivain ressentira

  1. Elles figurent toutes deux dans la Correspondance imprimée. Sur la copie de la première, de Maistre a écrit : « Cette lettre fut la dernière d’une très longue correspondance, et la seule dont j’ai pu retenir une copie. J’en ai transporté quelques passages dans mon ouvrage sur le Pape. »