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donc, comme programme pratique, admettre, sur l’heure même, une Allemagne fédérale soumise à l’hégémonie prussienne, et puis escompter, d’une fervente espérance, que la Prusse ainsi grandie s’unirait intimement avec l’Autriche, et qu’au demeurant l’Autriche, par un sévère travail sur elle-même, accroîtrait sa propre valeur d’alliée. Enfin, ce qu’attendait Ketteler de cette Prusse épanouie, c’était qu’elle éconduisît les théoriciens enchanteurs qui donnaient à la « vocation allemande » de la Prusse une signification confessionnelle et presque philosophique, et qu’elle se montrât toujours plus fidèle à cette Constitution de 1850, « grande charte de la paix religieuse, » qui assurait aux catholiques de larges libertés. À ce prix seulement et au prix aussi d’un certain respect pour les autonomies politiques et sociales, toujours chères aux catholiques d’Allemagne, et toujours menacées par l’esprit militariste et bureaucratique, Bismarck se révélerait, « non seulement comme un beau joueur, capable de perdre en une nuit son gain, mais comme un architecte politique, qui bâtit pour l’avenir. »

Ainsi se déroulait la brochure. Quelques-uns la trouvèrent trop prussienne, quelques autres trop autrichienne : elle fut un soulagement pour beaucoup, parce qu’elle disait ce qu’ils devaient faire. C’était un beau geste d’homme d’Église, et même mieux qu’un geste. Lorsque les événemens échappent à la direction de l’Église et se déroulent contre son gré, l’Église, à moins qu’ils ne visent directement sa constitution, les accueille sans retard, majestueuse d’impartialité. Ce n’est point une tolérance ni même une acceptation ; c’est la constatation de certaines réalités acquises, auxquelles elle met son visa comme Dieu y a mis le sien. Mais les théories qui les préparèrent ou même les ébauchèrent, théories que l’Église redoutait et combattait, deviennent alors comme des épreuves d’imprimerie, qu’on jette, le livre une fois paru. La spéculation des humains, leurs fantaisies de théoriciens, qu’est-ce autre chose que des épreuves ? Le fait brut, voilà ce qui importe : alors l’ouvrage est achevé, Dieu a donné le bon à tirer. La Prusse avait atteint ses fins : c’était un fait. Ketteler ne discutait plus, et souhaitait seulement qu’elle jetât au panier tous les plans qui d’avance avaient dessiné sa grandeur, les plans des Sybel et des Treitschke, les plans du Nationalverein. La Prusse resterait grande, quand même, et les catholiques seraient rassurés, Lorsque les nouveautés