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lumière du dehors projette dans l’ombre intérieure de la maison.

Au centre s’implante le poteau sacré qui soutient toute la demeure : « celui qui s’appuie contre lui est né sous une bonne étoile et aura de la chance. » A son pied, le Malgache laboureur pose l’angady, la bêche qui tire de la terre sacrée la nourriture essentielle. Dans de vieilles maisons d’andrianas (nobles), ce poteau, que l’on compare au souverain qui supporte tout le poids du royaume, est entaillé de dessins linéaires qui, sous la patine de la fumée et le frottement huileux des mains, composent des mosaïques de bois verni. La porte unique, l’unique fenêtre, parfois couvertes de rosaces gravées, s’ouvrent toujours à l’Ouest : « Tout doit regarder l’Occident, explique le Sakalave. Le soleil y va, la lune et les étoiles y vont et les hommes ont aussi leur porte de ce côté (la mort). » La maison n’a que peu d’ouvertures : faire beaucoup de fenêtres, c’est permettre à la richesse de s’en aller et au sorcier de lancer à l’intérieur des mauvais sorts. Le jour, la demeure reste obscure, assombrie encore par la fumée de paille et de bois vert qui la remplit. Le Malgache habite une cuisine, sa case est véritablement le foyer. Mais ce n’est pas tant le feu qu’il aime que la fumée intarissable qui se déplace et s’entasse mollement, pique les narines, fait larmoyer les yeux et offusque le cerveau en l’endormant dans une vapeur flottante. Le Malgache, dont on a tant accusé l’amour foncier du vague, hume avec délices la fumée de sa case. En jouant avec elle et avec la flamme, il a appris l’art. L’Antaimoro passe au boucanage les images de caïmans et de scorpions qu’il a entaillées sur un bambou de voyage ; le Tanala, avec un fer rouge, grave sur des gobelets de roseau des palais à étages, des bourjanes à la file et des soldats en marche ; le Belsimisaraka dessine avec des tisons sur ses cuillères et ses plats de bois ; le Sakalave souligne à la flamme les cheveux et les sourcils de ses statuettes ; le Merina zèbre de taches de feu la pourpre de ses poteries rondes. De la fumée le Malgache apprécie surtout ce qu’elle dépose sur chaque chose, le moulal qui veloute de noir le mur de brique ou dore la paille du toit : elle est sacrée comme la patine du temps. Loin de l’enlever, on la montre avec orgueil en témoignage que la famille occupe depuis longtemps la case[1]. Pour caractériser la fidélité ancienne de

  1. Les biens héréditaires se dénomment mainty molali (noirs de suie) ; et « prendre à quelqu’un les biens de sa famille » se dit « secouer la suie. »