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ces deux personnages avaient attaché leurs noms. Il se forma dans les monastères fondés par eux une tradition que la Vie latine, composée à la fin du XIe siècle, a eu pour but de consacrer et de répandre. C’est dans cette tradition essentiellement monastique qu’un poète a recueilli les noms de Girard et de Berte. Ce poète, à en juger par le choix du sujet, était probablement bourguignon. Il composait assurément avant la fin du XIe siècle, puisque son œuvre est antérieure à la Vie latine. De l’histoire du comte Girard, il ne savait rien, sinon le peu que lui en avait appris la tradition monastique. Et ce peu se réduisait à trois faits : que Girard était le contemporain et le vassal d’un roi appelé Charles ; que sa femme s’appelait Berte ; que, d’accord avec celle-ci, il avait fondé divers monastères. Le reste, c’est-à-dire l’ensemble des récits dont il a composé son poème, il l’a trouvé, selon l’expression du moyen âge, ou, comme nous dirions, inventé. Par là, je n’entends pas dire que tout, dans ces récits, soit imaginaire. Il y a dans le poème renouvelé beaucoup de noms de lieux qui peuvent être identifiés, beaucoup de noms de personnes qui se retrouvent dans l’histoire du IXe au XIe siècle, et il y en avait probablement plus encore dans le poème primitif. Tel ou tel récit de bataille a pu être emprunté à une tradition locale. Il y a toujours dans une œuvre d’imagination des élémens tirés de la réalité. Mais je veux dire que les élémens variés qu’a pu recueillir l’auteur n’avaient, selon toute vraisemblance, aucun lien avec l’histoire du comte Girard. On ne gagnerait rien à supposer que le poète aurait mis en œuvre une tradition déjà formée où se seraient trouvés réunis les principaux traits de la légende… Ces traits, en effet, par exemple le long exil de Girard, suivi de sa réapparition à la cour du roi, ne peuvent en aucune façon être rattachés à l’histoire. Il faut de toute nécessité qu’ils aient été inventés par quelqu’un. Et pourquoi ce quelqu’un ne serait-il pas l’auteur de l’ancienne chanson ? »

Si l’on interprète ces lignes à la lumière des pages qui les précèdent et dont elles sont la conclusion dernière, voici ce qu’on trouve. M. P. Meyer soutient, comme j’ai fait jusqu’ici, — ou plutôt je n’ai guère fait jusqu’ici que suivre sa démonstration, — qu’il n’est pas besoin, pour expliquer la formation de notre légende, de recourir à l’hypothèse de chants épiques fort anciens ; qu’il suffit, pour rendre compte des rares traits historiques qui s’y trouvent, de supposer qu’un poète, vers la fin du XIe siècle, a