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Girard de Roussillon n’a pas gardé trace du siège historique de Vienne en 870, ne vous rappelez-vous pas, demande M. A. Longnon, qu’un autre héros de chansons de geste, Girard de Fraite, a fréquemment sa résidence à Vienne ? et qu’il est, lui aussi, l’adversaire d’un roi nommé Charles ? qu’un troisième héros, Girard de Vienne, soutient dans cette ville un siège contre un roi de France du même nom ? que le roi Charles qui l’y assiège était, selon le poète, accompagné de la reine, tout comme Charles le Chauve en 861, lors de son agression contre Charles de Provence, était accompagné de la reine ?

Il ne servirait de rien de répondre aux auteurs de ces rapprochemens qu’en 861 Charles le Chauve, accompagné de la reine, n’a pas dépassé Mâcon, n’a donc pas assiégé Vienne ; qu’en 870, quand il attaqua Vienne, la reine ne l’accompagnait pas ; que ce n’est pas Charles le Chauve qui, selon les chansons de geste, a assiégé Girard dans Vienne, mais Charlemagne ; que, dans l’histoire, Charles le Chauve y a assiégé non pas Girard, mais Berte, tandis que, dans la légende, Charlemagne y assiège un Girard dont la femme ne s’appelait pas Berte. Il ne servirait de rien de leur remontrer ces différences, car ils les connaissent à merveille. Qu’importe ? disent-ils, ce sont les altérations fatales de l’histoire par la légende, et ne faut-il pas « tenir compte des modifications que les chants populaires d’où sont sortis les poèmes du XIIe siècle ont dû tout naturellement apporter au récit des faits historiques[1] ? » Par suite ils retiennent, non pas les différences, mais les seules ressemblances, et, les combinant entre elles, celles-ci et d’autres encore, il leur paraît que « Girard, régent de Provence, fut le sujet de cantilènes dans les régions du Rhône où, selon les diverses latitudes, ces cantilènes donnèrent naissance à trois personnages épiques : Girard de Roussillon en Bourgogne, Girard de Vienne en Dauphiné, Girard de Fraite en Provence[2]. » Et l’on reconnaît ici la même théorie que les érudits ont construite pour rendre compte de la légende de Guillaume d’Orange ; c’est la même théorie, mais renversée. Pour composer la figure du Guillaume des chansons de geste, ils supposent que trois ou quatre, ou treize personnages historiques du nom de Guillaume, tous héros de récits légendaires

  1. Longnon, p. 268.
  2. Longnon, p. 279. Pour la discussion de cette théorie, voyez P. Meyer, Girart de Roussillon, Introduction, pp. XIII-XVI.