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comte Girard est aux yeux de Charles le Chauve carissimus valdeque amantissimus, qu’en 870, lors du siège de Vienne, il n’intervient dans la lutte que pour rendre la ville assiégée au roi. »

Inversement, si les romanciers prêtent à Girard des aventures imaginaires, ils ne savent rien de ses aventures réelles, qui pourtant leur eussent fourni des thèmes épiques tout indiqués. Dans l’histoire, par exemple, Girard avait été le tuteur et le défenseur sexagénaire d’un roi enfant et malade : belle donnée épique ; mais nos poètes l’ont ignorée, puisqu’ils n’introduisent pas le personnage de Charles de Provence, et que leur héros Girard est pour eux le suzerain, jeune et indépendant, d’un duché immense et chimérique. — Dans l’histoire, Girard avait chassé les païens des rives du Rhône et les avait refoulés jusqu’à la mer : sujet familier aux jongleurs de geste ; nos poètes ont ignoré ces faits de guerre. — Dans l’histoire, Berte a défendu la ville de Vienne contre Charles le Chauve, en l’absence de son mari : beau trait, fréquent dans les chansons de geste, et si convenable au caractère prêté à Berte par les romanciers qu’ils l’auraient exploité sans doute, s’ils l’avaient connu ; mais ils l’ont ignoré, et jamais dans nos romans Berte ne défend ni Vienne, ni une ville quelconque, ni en l’absence de son mari, ni à ses côtés. Bref, plus les historiens fouillent les chroniques carolingiennes pour enrichir de traits nouveaux la figure du vrai Girard, plus il apparaît qu’elle est profondément dissemblable de celle de Girard du Roussillon, et tout se passe dans la légende comme si les poètes n’avaient rien su de leur héros, rien que le nom de sa femme, le fait qu’il avait fondé avec elle les abbayes de Pothières et de Vézelay et le nom du roi de France qui régnait alors.

Mais du moins ils ont connu ces quelques faits historiques et c’est là ce qu’il faut expliquer. Nous tenons, disent certains critiques comme M. Longnon, nous tenons notre explication toute prête : avertis par l’étude d’autres légendes que les chansons de geste du XIIe siècle remontent à des « cantilènes » ou à des « récits épiques » du IXe et du Xe siècle, nous disons que les souvenirs historiques conservés dans le roman de Girard de Roussillon sont des vestiges de ces poèmes ou de ces récits poétiques ; c’est l’évidence, reconnue par tous, de ces deux ou trois concordances certaines entre l’histoire et la légende qui nous autorise à enrichir le tableau d’autres rapprochemens, moins évidens certes, probables pourtant. Par exemple, s’il est exact que le roman de